Et si les sciences étaient aussi humaines ?

 

L’idéal d’homme des sciences modernes est-il compatible avec l’idéal d’homme forgé par la tradition humaniste en Europe occidentale ? C’est avec cette question que Louis Leprince-Ringuet clôturait l’un de ses ouvrages dans le contexte d’après-guerre. A cette époque il était fréquent d’affirmer que les humanités bloquaient la marche du progrès en récusant l'austère exigence de la spécialisation. La culture, creuset d’un jugement critique sur la production scientifique et technique était ainsi sommée de se réformer pour devenir « le complément indispensable de finesse, d’équilibre » des progrès réalisés dans la cité savante. Il lui était demandé un certain « sens de la vie » pour « une compréhension du monde à venir ». Au fond, ce que réclamait la science, c’était une culture spirituelle capable d’accompagner le développement de la culture matérielle au moment où la connaissance devait «servir à la possession du monde » et donner « des outils pour agir sur l’univers ». Telle était du moins la position de Leprince-Ringuet. Lorsque le scientifique demandait aux humanités d’être un peu plus accommodantes, il présupposait l’existence de deux savoirs totalement disjoints, l’un traitant des affaires existentielles, l’autre des affaires matérielles tout en espérant qu’ils puissent, un jour, mieux coïncider. C’était faire comme si les humanités étaient absolument étrangères à la formation de l’esprit scientifique et n’étaient pour rien dans ses orientations actuelles. Est-ce si certain ?

 

 Et si les sciences nous réapprenaient à douter ?

 

Aujourd’hui, plus que jamais, la réflexion sur les rapports entre science et culture est réactivée. Il en est question à l’occasion de la réforme du baccalauréat 2021 et des programmes scolaires qui ont introduit la matière Humanités scientifiques et numériques, mais bien évidemment, les raisons de ce surcroît d'intérêt sont plus profondes.

Depuis l’usage des armes nucléaires, il n’est plus possible d’ignorer le couplage entre la science et la destruction. Or, comme le souligne Jean-Marc Lévy-Leblond l’évènement a fait basculer l’humanité dans une période historique absolument nouvelle « où ce risque est permanent, et ne concerne pas seulement la physique, mais aussi la chimie, la biologie, etc. – et même les sciences humaines et sociales ». On pense aux débats sur les organismes génétiquement modifiés et leurs usages dans l'agriculture, sur la transformation du vivant (qu'il soit non humain ou humain) par les (bio)technologies. Autant d'inquiétudes qui viennent amplifier les controverses au sujet notamment des dérèglements climatiques et des accidents industriels;

Les objets techniques auxquels il faut adjoindre les dispositifs issus des sciences sociales travaillent les sociétés à un point jusque-là inégalé. Dans cette perspective, la question de la position surplombante de l'économie se pose avec force. Faut-il voir dans ce mouvement de désencastrement un trait commun aux démarches spécialisées d'expertise qui seraient animées par un même esprit, "le nouvel esprit scientifique" dont parlait Gaston Bachelard ? Dans ce cas, agir sur la nature et agir sur la société auraient des caractéristiques épistémologiques communes. Il conviendrait alors d'en expliciter les fondements afin de saisir les présupposés éthiques qui structurent l'acte d'intervenir en vue d'une transformation des objets définis par les sciences.

Lorsque l'on réfléchit aux rapports entre science et société, force est de constater que l'on s'arrête trop souvent à la porte des sciences humaines. Or, elles aussi développent des méthodes d'intervention sociale à visée de changement qui peuvent emprunter le chemin du désencastrement pour s'installer dans cette position de surplomb.

D'où parlent ces savoirs à vocation scientifique pour intervenir ainsi sur le monde ? L’enjeu éthique est de taille. La réflexion ne relève pas ici du supplément d’âme. Elle est ancrée dans un terreau de questionnements autour des coupures introduites par la science classique entre la nature et la culture, entre le sujet connaissant et l’objet à connaître, entre les sciences et la société, entre les connaissances savantes et le sens commun. Ces dissociations sont-elles tenables ? Sont-elles d'ailleurs véritablement abouties? Quelles sont les conséquences éthiques de telles tendances? Qu'impliquent-elles au niveau des modalités d'interventions techniques, sociales, politiques, économiques de l'homme sur l'homme et sur la nature?

 

Et si notre ordinaire ne tournait plus rond ?

Et si les scientifiques étaient encore rêveurs ?

Et si l'opinion n'avait pas toujours tort ?

Et si on faisait connaissance ?

 

 

 

 

De nombreuses ressources permettent d’appréhender ces questions aux multiples facettes.

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