Par Margherita Nasi, Le Monde, le 15 décembre 2015
Les associations s’organisent face à l’action publiqueRégulation tutélaire, régulation concurrentielle: un cumul de contraintes qui incite les organismes à but non lucratif à favoriser la gestion aux dépens de l’action.
Diminution des financements et accroissement des contrôles, multiplication des audits, risques d’instrumentalisation sont des termes qui reviennent régulièrement dans la bouche des acteurs associatifs décrivant leur quotidien. Les associations subissent en effet de fortes pressions : les ressources monétaires restent majoritairement d’origine publique, mais les modalités d’attribution sont modifiées.
Sur la régulation tutélaire s’est greffée une régulation concurrentielle. Sans parler des changements législatifs - loi organique relative aux lois de la finance, révision générale des politiques publiques, modernisation de l’action publique - censés faire passer l’Etat d’une culture de moyens à une culture de résultats.
« Touchés par le managérialisme »
Résultat : aujourd’hui certaines associations sélectionnent leurs dirigeants plus pour leur maîtrise de la gestion plus que pour leur expérience des activités. « Autrement dit, les associations ont été touchées par le managérialisme », dénoncent Jean-Louis Laville et Anne Salmon dans l’ouvrage collectif titré : Associations et Actions publiques.
Ecrit sous la direction de ces deux sociologues, l’ouvrage ne se veut pourtant pas défaitiste : loin de réduire les associations à l’impuissance face à ces nouvelles contraintes, il montre qu’elles peuvent constituer des résistances au projet néolibéral.
Car ce dernier, rappellent le professeur au CNAM et la professeur de sociologie à l’université de Lorraine, n’est pas seulement un programme économique, c’est aussi un projet politique : Hayek, un des pères de la doctrine, condamnait ainsi le caractère « illimité de la démocratie actuelle ».
Visant une redéfinition du rôle de l’Etat et de tous les regroupements populaires pouvant contester la limitation de la démocratie, ainsi que l’institution de la société de marché par le transfert des activités publiques ou non lucratives vers le secteur marchand, le néolibéralisme constitue une menace pour les associations. Dans une société de marché dominée par les entreprises lucratives, « il y a peut-être de la place pour des fondations alimentées par des fonds privés et riches donateurs, mais nettement moins pour les initiatives populaires financées par des fonds publics ».
« Résister à la fonctionnalisation »
Comment riposter ? Les associations témoignent de réelles capacités d’initiative : « loin de se contenter du rôle passif qu’on voudrait leur assigner, de nombreux secteurs associatifs mobilisent une diversité de leviers pour résister à la fonctionnalisation de leurs missions, mais aussi pour avoir droit de cité en portant sur la place publique de nouveaux problèmes publics ».
L’ouvrage s’appuie sur un éventail de cas concrets : les deux premières parties se focalisent sur les associations françaises. « Il s’agit d’exposer sous une forme proche du récit d’expérience la façon dont les acteurs sont en mesure de desserrer le carcan dans lequel ils ont conscience d’être pris ».
Les parties III et IV se concentrent elles sur les expériences internationales. Du Maroc à la Tunisie en passant par la Bolivie, le Québec et l’Equateur, les pays sont variés, tout comme les secteurs - centre social et régie de territoire, fédération sportive, association écologiste, association culturelle, association de microfinance - et la taille des structures : on va des très petites associations ancrées localement jusqu’à des fédérations qui ont une dimension internationale.
Rédigé par des auteurs qui appartiennent au monde de la recherche universitaire ou au monde associatif, l’ouvrage n’entend pas livrer « une conception de la société sur la base d’une apologie des associations. Son projet est à la fois plus circonscrit et plus ambitieux. Il repose sur l’idée que la mise en commun d’expériences est en mesure de fournir des éléments fiables, dont l’étayage pratique et théorique peut encourager de nouvelles expérimentations pour désamorcer les tentations d’une démocratie limitée. »
Associations et Action publique, sous la direction de Jean-Louis Laville et Anne Salmon (Desclée de Brouwer, 636 pages, 21 euros).