A la suite, deux articles d'épistémologie politique:
le premier "Le Prince et l'invariable variabilité humaine" est consacré à Machiavel,
le deuxième "Le souverain et la quête d'uniformité " à Bodin.
Vient après un troisième article"La formation d'un nouvel esprit dogmatique" qui touche davantage à des questions d'éthique et de sociologie économique contemporaine. Une version plus courte de ce texte a été publiée dans la revue Connexions sous le titre "Néolibéralisme, nouveau management et plaisir" (Connexions 2015/n°103)
Machiavel
Le Prince et l'invariable variabilité humaine
Anne Salmon
Pour citer cet article
A.Salmon, "Le prince et l'invariable variabilité humaine", Sciences et humanités en société, Paris, 04/2018, https://www.sciencesethumanites.fr
Introduction
Machiavel inaugure un savoir particulier qu’il systématise. Il s’agit du conseil aux princes dans une affaire qui les intéresse au plus haut point : le pouvoir. Cet art consiste à convaincre
les gouvernants qu’en suivant la bonne méthode, ils parviendront au but qu’elle leur promet d’atteindre. C’est à la fin de l’Art de la guerre que cette promesse est formulée avec le plus de
netteté et d’assurance : « Pour moi je soutiens que le premier prince d'Italie qui pratiquera cette méthode, sera en état plus qu'aucune autre puissance, de conquérir les autres états; (…)
Tous ceux donc qui, négligeront ces avis et ces remarques que je vous donne marqueront avoir peu de soin des états qui seront confiés à leur conduite. Pour moi je me plains de la nature, laquelle
ne devait pas me donner tant de connaissances sans me donner en même temps les moyens de la mettre en usage. Je ne pense pas même étant déjà vieux en pouvoir jamais trouver l'occasion; ainsi je
vous ai volontiers communiqué mes pensées là-dessus, parce que comme vous êtes jeunes et qualifiés, si vous les approuvez vous pourrez dans l'occasion les proposer et les conseiller à vos
princes. »1
Dans les premières lignes du Prince, l’auteur, paraissant s’adresser exclusivement à sa « Magnificence », Laurent de Médicis, parle aussi à tous « ceux qui désirent gagner les
bonnes grâces d'un prince » et qui « ont ordinairement coutume de se présenter à lui avec ceux de leurs biens qu’ils préfèrent, ou auxquels ils le voient prendre le plus de
plaisir. » leur offrant « chevaux, armes, draps d'or, pierres précieuses, et autres parures dignes de sa grandeur. »2 Machiavel, homme assez pauvre, ne possède rien de tout cela.
Et ce n’est pas sur les colifichets précieux qu’il compte. Il a en fait deux choses à donner selon que l’on est prince ou selon que l’on désire en obtenir les faveurs. Au premier, il propose une
méthode fondée sur « la connaissance des actions des grands de ce monde », acquise « par une longue expérience des choses des temps modernes », et « par une lecture
assidue des antiques. »3 Au second, tout en enseignant entre les lignes qu’il n’est pas nécessaire d’aimer un prince pour le conseiller, il explique ce à quoi les gouvernants sont le
plus attachés : la puissance. Celui que les circonstances placent en position d’être écouté et qui souhaite renforcer son crédit et son influence doit savoir promettre le succès en ce domaine.
Pour ce faire, il s’agit de développer un art de la prévision suffisamment crédible pour emporter l’adhésion. Machiavel indique un chemin. Se défiant de l’ordre divin rassurant mais peu fiable
lorsqu’il faut agir dans le monde vulgaire, il préfère fixer son attention sur la variété des circonstances qui affectent les affaires humaines. Naviguant dans ces eaux troubles, il reformule le
problème de la certitude en politique s’éloignant de la façon dont il avait été posé par la religion et les conseillers qui s’en réclamaient. En ce sens, avec la science qu’il contribue à fonder,
ce sont des générations de conseillers qu’il forme, leur apprenant à faire des promesses et à être cru des princes qui, lorsqu’ils sont sages auraient tort de s’en passer, lorsqu’ils ne le sont
pas, devraient s’en défier.4
C’est au service de la République florentine que Machiavel acquiert la connaissance des grands à l’occasion des missions qui lui sont confiées. Celle du 26 avril 1505 fournit un
exemple de ses responsabilités et des rencontres qu’elles impliquent : « Nicolas, vous vous rendrez à Sienne le plus promptement possible. Votre première entrevue sera avec Pandolfe
Petrucci, auprès duquel nous vous donnons des lettres de créance. Après les termes usités et nécessaires, relativement aux liaisons d'amitié qui nous unissent à lui, et sur lesquelles il n'est
pas besoin de vous donner de plus amples instructions , vous exposerez à ce seigneur que le but de votre ambassade est de lui faire connaître l’état actuel des affaires, surtout de celles qui
sont de quelque importance, et de l'informer des instances que nous recevons depuis longtemps du pape et du duc pour nous décider à former une alliance et une ligue avec eux, et avec tous ceux de
la famille Borgia, instances qui deviennent plus pressantes que jamais. »5
Il entreprend la rédaction de son œuvre politique en 1513. A cette époque il vient d’être condamné à l’exil. Cette période troublée est marquée par la chute en 1512 de Piero Soderini gonfalonier
de la République de Florence depuis 1498 et par le rétablissement de la famille Médicis au pouvoir. Cette République puise ses origines dans l'histoire communale de la ville et dans les
institutions de la fin du 14ème siècle, fruit d’un régime populaire lié aux corporations.6 Au temps de Machiavel, ces institutions ont déjà été vidées de leur sens sous l’impulsion du
gouvernement oligarchique des Albizzi et de l'avènement des Médicis. Cependant, comme le rapporte Taddei, même si le pouvoir se concentre progressivement entre les mains d'une faction,
« cette structure politico-institutionnelle à l'origine de la Commune demeura l'ossature de la République florentine tout au long du XVe siècle. Malgré les ajustements institutionnels
introduits par le régime oligarchique des Albizzi, puis par les Médicis, ses lignes principales constituèrent toujours les fondements de la tradition républicaine à laquelle les Florentins
étaient attachés. C'est dans ce cadre institutionnel républicain que s'insère l'évolution oligarchique du régime politique. »7
En 1512, après avoir exercé durant quatorze ans à la seconde chancellerie auprès de Soderini, Machiavel est sous le coup de deux décrets8 par lesquels les Médicis l’excluent de la vie publique en
le réduisant à la misère. Par le premier il est dépouillé de ses offices de secrétaire qui lui assuraient un modeste revenu, par le second, il est exilé pour un an sur le territoire florentin. Un
troisième décret, lui défend d'entrer dans le palais des « hauts et magnifiques » seigneurs. Suspecté d’avoir participé à la conjuration d’Agostino Capponi et de Pierpaolo Boscoli, il
est arrêté en 1513 et mis à la torture. Menacé de prison à vie, il sera libéré après une vingtaine de jours d’incarcération.
Le Prince est dédié à Laurent le Magnifique fils de Pierre de Médicis, en hommage à la famille dont l’auteur attend un retour en grâce et l’obtention d’une nouvelle charge publique. Le Discours
sur la première décade de Tite Live est dédié à Zanobi Buondelmont et à Come Rucellai. Bayle9 explique que Machiavel retrouvait ces citoyens, gens de savoirs, dans les jardins de Rucellai. S’y
rendait aussi Jacques Diacettin impliqué dans l’attentat de 1522 contre le cardinal Julien de Médicis et exécuté suite à ses aveux. Ce complot pour mettre « la République en liberté »10
contraignit Buondelmont et d’autres membres de ce groupe à fuir. Machiavel ne sera pas inquiété.
Cette courte incursion dans l’histoire fait apparaître que l’aléatoire, l’inconstance et l’instabilité sont des réalités durement éprouvées par le philosophe dans ce contexte ponctué par les
conquêtes et les invasions, les ascensions et les chutes. Il suffit de penser aux Médicis, à Savanarol, à Sorderini, à César Borgia… Au cœur de sa vie, elles sont aussi au cœur de son œuvre.
Réalités mouvantes et mètis politique
Le Prince n’est pas publié du vivant de Machiavel, il paraît en 1532. Son objet, comme on l’a aperçu, est de « discourir du gouvernement des princes et de proposer des règles. » Il
s’agit d’une réflexion sur les rapports entre les manières « d’acquérir » et de « conserver » un Etat, sur laquelle se fonde une nouvelle représentation de ce que prévoir
signifie en politique. L’un des enjeux est de récuser l’idée selon laquelle la prévision exige de s’appuyer sur des préceptes intangibles qu’ils soient d’ordre moral ou religieux formés a priori
afin de guider l’action politique.
Un art de promettre se combine ici avec un art de convaincre et d’être écouté. Machiavel construit une démonstration sensible propre à « faire toucher des mains » le fait que les
affaires humaines relèvent de l’aléatoire mais ne s’y réduisent pas. Il est soucieux de partir de considérations pratiques, pour élaborer une théorie de l’action dont les implications
métaphysiques ne s’explicitent pas totalement. Il n’abandonne jamais le terrain de l’expérience et c’est dans ce registre ancré et situé, qu’au détour d’un exemple, sera formulé, de façon
concise, souvent en quelques phrases, la substance de son propos. La théorie s’énonce dans le langage de la pratique. Elle ne fait pas l’objet d’incise, comme ce sera le cas chez Bodin,
théoricien de la souveraineté, qui scande le flot des exemples à l’appui de sa démonstration, par l’énonciation de principes, de définitions à caractère plus universel, stylistiquement détachés
du reste. Nous y reviendrons.
L’exposé des modalités d’acquisition d’une principauté ou d’une ville dont on conçoit assez facilement qu’elles dépendent des circonstances, est l’un des ressorts pédagogiques permettant
d’avancer l’idée que toutes les décisions politiques sont relatives aux situations particulières : « Un gouvernement ne doit jamais croire infaillibles ses résolutions ; il doit au
contraire les tenir toujours pour aléatoires. Car l’ordre des choses est ainsi fait que chaque fois qu’on veut échapper à un inconvénient on tombe dans un autre ; la prudence consiste à
savoir mesurer les inconvénients, et à prendre pour bon le moins mauvais » 11
Machiavel abandonne l’idée que la prévision exige un ensemble de résolutions estimées valables en soi comme fil directeur de la conduite. Il lui faut toutefois ébranler la conviction que l’on
peut vaincre la fragilité des affaires humaines en ayant recours à un modèle de cité idéale. C’est dans cet ordre d’idée qu’il s’inscrit en rupture avec ceux qui se sont imaginés « des
républiques et des principautés que jamais personne n’a vues ni connues réellement »12 et s’attache à « la vérité effective de la chose plus qu’à l’imagination qu’on peut
s’en faire.»13 Ce déplacement suppose un nouveau savoir qu’il faut construire sur les Républiques, mais aussi sur ceux qui en sont les membres. Prendre les choses comme elles sont, est aussi
prendre « les hommes tels qu’ils sont » : « Mais la distance, écrit-il, est si grande entre la façon dont on vit et celle dont on devrait vivre, que quiconque ferme les yeux
sur ce qui est et ne veut voir ce qui devrait être apprend plutôt à se perdre qu’à se conserver ; car si tu veux en tout et toujours faire profession d’homme de bien parmi tant d’autres qui
sont le contraire, ta perte est certaine. » 14
S’il incite à ne plus se mettre en quête de l’idéal, du bien en soi, du meilleur, il s’abrite derrière des constats « de bon sens » sur lesquels, en pratique, il est assez facile de
s’accorder. Il joue ainsi sur le ressort de l’évidence pour emporter l’adhésion. Par ce moyen, il atténue du même coup, la portée de son propos qui, énoncé dans le langage des métaphysiciens,
serait nettement plus sulfureux. Dans un monde où « tout n’est que vulgaire »15, ne vouloir voir que ce qui « devrait être » est une faute politique. Il s’agira donc désormais
« prendre pour bon le moins mauvais ». Cette leçon sera retenue certes par les théories politiques mais aussi par les premières théories économiques. On le retrouve notamment chez
Smith : « Quand il ne pourra établir le bon, il ne dédaignera pas améliorer le mauvais.»16 Sur le plan de l’argumentation, la mobilisation du bon sens ou de l’évidence sur laquelle
insistera le physiocrate Quesnay permet de faire oublier d’autres sens de la perte, de la faute et de la déchéance. Pour le Prince, la réussite promise dans le monde, n’a-elle pas son revers de
médaille : la perte certaine dans l’au-delà ? Machiavel paraît ignorer les polémiques théologiques que certaines affirmations sont à même de susciter et prend soin d’éviter la querelle
qui l’entraînerait sur le terrain de la justification pour se préserver des condamnations religieuses. Dans le même temps, par ce moyen détourné, il avance pas à pas vers une conception du
politique qui s’institue comme sphère d’action auto-référencée c’est-à-dire capable de sécréter ses propres critères pour juger d’une conduite. Cette souplesse n’est pas sans rapport avec la
mètis grecque, cette ruse de l’intelligence ancrée dans la pratique. Même si les références de Machiavel sont beaucoup plus latines que grecques, il n’en demeure pas moins que la raison politique
tient d’une forme d’intelligence où se combinent, la prévision et la souplesse d’esprit, la feinte et le sens de l’opportunité, l’expérience acquise. Comme chez les Grecs, elle s’applique
« à des réalités fugaces, mouvantes, déconcertantes et ambiguës, qui ne se prêtent ni à la mesure précise, ni au calcul exact, ni au raisonnement rigoureux. »17 Plus proche d’un
artisanat politique que d’une rationalité instrumentale rigoureuse et austère, elle dessine une manière d’être proche de celle d’Ulysse tout en redéfinissant les rapports du prince à la religion.
Cette intelligence des situations fluctuantes ne dépend plus de l’interprétation des marques par lesquelles Dieu se laisse deviner ni de l’obéissance aux décrets de la providence. La réussite du
prince tient désormais à la compréhension des « nécessités du moment » et à la capacité d’y ajuster sa conduite : « Je conclus donc que la nature change et que les hommes sont
entêtés ; quand leur comportement s’accorde avec les nécessités du moment, ils sont heureux en affaires ; sinon c’est le désastre.»18 Ici, la référence à un ordre stable, qu’il soit
divin ou naturel, relève de l’entêtement puisque cela reviendrait à fixer le cours des choses et avec lui le comportement à adopter en fonction d’un réel ordonné une fois pour toutes. Rouvrir les
possibles, c’est récuser l’idée selon laquelle la réalité se donne à lire comme dans un livre déjà écrit qu’il faudrait déchiffrer.
La question de la stabilité de l’action se pose : comment penser le réel pour qu’il ne bascule de l’ordre impératif au pur hasard, sur lequel nul homme n’aurait de prise. Il lui faut trouver
des garde-fous pour que la décision politique ne sombre pas dans l’arbitraire et ne s’égare, ballotée, au gré des évènements. Progressivement, Machiavel dégage les conditions pour penser cette
permanence. Le monde « vulgaire » n’est pas un monde où tout est écrit, mais il n’est pas non plus un monde où tout se vaut. Le prince a des raisons d’agir. Parmi toutes les fins
possibles « la conquête et la préservation de son Etat »19 fonctionne comme un élément structurant sans lequel l’action serait assujettie aux réalités mouvantes. Le but que le prince
est incité à poursuivre est strictement politique. Il devient le critère à partir duquel pourront être mis en balance les inconvénients et les avantages de ses décisions en tenant compte du
contexte. L’avantage20 dont il est question ici, n’a rien à voir avec l’intérêt matériel réduit au gain et à sa maximisation. C’est un principe politique souple. Ce fil d’Ariane permet de
restaurer une autonomie de la volonté du prince qui sinon, serait toute entière soumises aux caprices et aux aléas des évènements. Les résolutions du prince doivent, certes, être perpétuellement
réévaluées en fonction des réalités telles qu’elles se présentent à lui. Mais cela ne revient pas à considérer l’action politique comme marquée du sceau de l’inconstance. La recherche de
l’avantage informée par l’analyse des situations particulières est stabilisée par la référence à un but qui fixe une orientation solide et sert de boussole. Le prince peut, en fonction de cette
finalité, estimer ce qui est avantageux ou ne l’est pas tout en considérant les choses « telles qu’elles sont », c’est-à-dire en tenant compte de leur nature changeante.
La prévision n’implique pas de se référer à une législation divine. En ce sens, l’opposition classique entre « ce qui est » et ce qui « devrait être » n’est pas ce qui
structure la pensée politique. Pour prévoir, le prince n’a plus besoin de déchiffrer les desseins de la providence. Cela suppose toutefois d’éclaircir, dans un contexte dominé par la religion, la
part de ce qui est gouverné par Dieu et celle qui peut l’être par le prince : « Je n’ignore pas cette croyance fort répandue, précise Machiavel : les affaires de ce
monde sont gouvernées par la fortune et par Dieu ; les hommes ne peuvent rien y changer, si grande soit leur sagesse ; il n’existe même aucune sorte de remède ; par conséquent il
est tout à fait inutile de suer sang et eau à vouloir les corriger, et mieux vaut s’abandonner au sort. Opinion qui a gagné du poids en notre temps, à cause des grands bouleversements auxquels on
assiste chaque jour, et que nul n’aurait jamais pu prévoir. Si bien qu’en y réfléchissant moi-même, il m’arrive parfois de l’accepter. Cependant, comme le libre arbitre ne peut disparaître,
j’en viens à croire que la fortune est maîtresse de la moitié de nos actions mais qu’elle nous abandonne à peu près l’autre moitié.»21
Le politique se loge tout entier dans cette autre moitié : « Je la vois [la fortune] pareille à une rivière torrentueuse qui dans sa fureur inonde les plaines, emporte les arbres et les
maisons, arrache la terre d’un côté, la dépose de l’autre ; chacun fuit devant elle, chacun cède à son assaut, sans pouvoir dresser aucun obstacle. Et bien que sa nature soit telle, il
n’empêche que les hommes, le calme revenu peuvent prendre certaines dispositions, construire des digues et des remparts, en sorte que la nouvelle crue s’évacuera par un canal et causera des
ravages moindres. Il en est de même pour la fortune : elle fait la démonstration de sa puissance là où aucune vertu ne s’est préparée à lui résister ; elle tourne ses assauts où elle
sait que nul obstacle n’a été construit pour lui tenir tête. »22
Que les affaires humaines soient déterminées par une puissance supérieure n’est pas mise en doute frontalement. En revanche, Machiavel conteste l’idée selon laquelle le gouvernement de la fortune
s’exerce de façon continue. Le politique n’est pas l’art de composer avec ce pouvoir, il est avant tout un art de résister. Par des moyens humains et en prenant « certaines
dispositions », le prince peut contenir le torrent impétueux de la fortune. Puisque justement cette puissance est certaine et qu’il est impossible de s’y soustraire lorsqu’elle se déchaine,
il s’agit de se préparer afin d’en atténuer les effets. Il n’y a donc plus d’interférence entre une volonté supérieure et la volonté humaine : le politique ne se loge pas dans l’espace
privilégié du rapport à dieu ou à la nature. Le prince ne fonde pas son pouvoir dans le contact exceptionnel qu’il pourrait entretenir avec le divin mais dans la capacité à construire des digues
dont il doit comprendre qu’elles ne sont jamais absolument sûres : il est amené à agir dans un domaine fragile et instable, limité mais précis dans lequel son libre arbitre peut s’exercer dans
les temps d’accalmie où le cours d’eau, apaisé, reste dans son lit.
Paradoxalement, la surpuissance de la fortune permet de définir un espace dans lequel la prévision et l’action s’exercent pleinement sans qu’il soit nécessaire de penser une relation entre le
pouvoir divin et le pouvoir du prince. On peut dire que Machiavel désenchante la sphère politique par l’élimination du recours à des moyens extra-mondains pour agir dans le monde. Si la religion
et la morale ont une efficace, car elles en ont une, ce n’est pas au niveau de la croyance en leur pouvoir d’infléchir les choses telles qu’elles sont, ni de déterminer ce qu’elles devraient
être, mais comme instrument d’une politique plus sensible aux formes bigarrées de l’apparaître, qu’à l’ordre stable de l’être ou l’ordre impératif du devoir être.
L’être et l’apparaître
La finalité fixée au politique permet d’élargir la sphère des moyens en y intégrant les passions et les valeurs. Cela ne signifie pas que les conduites soient moralement équivalentes, mais
cela signifie que la morale ne doit pas être le critère par lequel le prince peut décider des meilleures façons d’ériger des digues contre la mauvaise fortune.
Le prince est amené en fonction des circonstances à agir souvent avec prudence, dans certains cas avec fougue et violence, parfois avec astuce. Il doit être patient ou prompt lorsqu’il le
faut. Machiavel, est l’un des premiers à « démoraliser » les passions pour les « politiser ». De ce point de vue, on peut dire qu’il a ouvert une voie qui, plus tard, chez
Descartes consistera à affirmer que les passions sont toutes bonnes de leur nature et qu’il revient à l’homme de bien les employer. Ainsi, il n’est pas question d’établir une hiérarchie qui
permettrait d’épurer les caractères en étouffant systématiquement le mauvais pour laisser s’épanouir le bon. Ici, c’est la diversité qui est privilégiée. L’action politique parce qu’elle suppose
de multiples ressources repose sur la richesse potentielle des appétits humains, qui libérés de l’estimation dogmatique des moralisateurs, n’en sont pas moins tempérés par cet usage politique.
Reconnues dans leur variété, ils ne sont pas rejetés comme des maladies de l’âme. Au contraire, ils s’intègrent à une sorte d’écologie humaine dans laquelle la variété des passions entre en
résonnance avec la variété des circonstances. Machiavel appelle moins une discipline sévère, qu’un juste ton et une bonne mesure. D’un autre côté, la laïcisation des finalités n’évacue pas la
religion hors du politique. Par contre, elle rogne son autorité afin que le prince soit libre de « rester dans le bien » lorsque c’est possible, et puisse « opter pour le
mal si cela est nécessaire. »23 Il y a déplacement des significations lorsque la morale et la religion sont considérées comme des instruments parmi d’autres.
C’est au chapitre « Comment les princes doivent tenir leurs promesses » que l’on comprend la portée de cette mutation. A partir du moment où les vertus sont des moyens et non pas des
fins pour le politique, l’opposition entre « ce qui est » et « ce qui devrait être » n’est plus centrale. Une autre tension plus structurante émerge entre « ce qui
est » et « ce qui paraît être. » : « Il n’est donc pas nécessaire à un prince de posséder toutes les vertus énumérées plus haut ; ce qu’il faut, c’est qu’il paraisse
les avoir. Bien mieux : j’affirme que s’il les avait et appliquait toujours, elles lui porteraient préjudice ; mais si ce sont de simples apparences, il en tirera profit. Ainsi, tu peux
sembler – et être réellement – pitoyable, fidèle, humain, intègre, religieux : fort bien ; mais tu dois avoir entraîné ton cœur à être exactement l’opposé si les circonstances
l’exigent. » 24
Le prince n’est pas totalement détaché de la morale commune, c’est même un devoir de paraître s’y conformer. Mais, il doit savoir se soustraire à ses impératifs et se mettre en état de faire plus
de cas du jugement des hommes que du jugement de Dieu. Dans le monde eux seuls ont le pouvoir de défaire un prince. Un système de devoirs politiques se substitue au système de devoirs moraux
édicté par l’Eglise. L’art de l’apparence modifie plus qu’il n’annule le caractère exigeant de l’exercice du pouvoir. La morale, tout comme l’avantage, peut avoir un effet modérateur en tempérant
subtilement la conduite du prince mais en rendant inutile les prédicateurs dogmatiques qui tentent par mille promesses de le soumettre à un ordre providentiel ou une loi naturelle. Ordre des
choses, qu’eux seuls seraient en droit de déchiffrer. Montrer et cacher devient un art qu’il faut connaître à la perfection. Avec la maîtrise de l’apparence Machiavel introduit celle de l’opinion
qui en est le corolaire. Elle se forme dans la mesure où la grande majorité des hommes juge les actions du prince par ce qu’elle en voit et en entend. Seule une minorité, en contact direct avec
le pouvoir, est capable de « toucher. » : « A l’entendre, à le voir qu’il semble tout confit de pitié, de foi, d’intégrité, d’humanité, de religion. Et ce dernier principe
est le plus nécessaire. D’une façon générale, les hommes jugent plus souvent d’après leur yeux que d’après leurs mains : chacun est en mesure de voir, bien peu sont en mesure de toucher.
N’importe qui peut voir ce que tu sembles être ; quelques rares seulement peuvent tâter ce que tu es. Et ces derniers n’osent contredire l’opinion du grand nombre, renforcée par toute la
majesté de l’Etat. Quand il s’agit de juger les actions des hommes, et spécialement des princes qui n’autorisent aucun tribunal d’appel, on ne considère pas les moyens mais la fin. Qu’un prince
choisisse donc celle-ci : la conquête et la préservation de son Etat. Ses moyens seront toujours tenus pour honorables et loués de chacun, car le vulgaire est toujours pris par les
apparences et les résultats. Or, en ce monde tout n’est que vulgaire : la minorité ne compte point quand la majorité s’appuie sur des arguments qu’elle croit solide. »25
L’utilisation politique de l’apparence est comprise dans un double sens : d’une part, l’opinion se forge à partir de ce que le prince laisse paraître et décide de cacher, d’autre part, le
prince s’appuie sur le fait que le plus grand nombre mettra toujours la minorité en défaut tant qu’il s’appuie sur des arguments qu’il croit solide. Cette solidité est difficilement ébranlable
par le discours « de vérité » que la minorité pourrait tenir en confrontant ce qui est dit et montré par le prince, avec ce qui peut être « touché par les mains ». A cela,
deux raisons principales. La première tient à ce que la minorité restera la plupart du temps au niveau du discours n’ayant que peu d’occasion de permettre au plus grand nombre d’approcher la
réalité. La seconde, tient à un avantage institutionnel : « la majesté de l’Etat » renforce l’opinion dupée par l’apparence.
Maîtriser l’opinion du plus grand nombre est l’un des moyens d’obtenir l’approbation du peuple. La technique est valable pour influencer son jugement en mettant en scène le prince « tel
qu’il apparaît » au lieu du prince « tel qu’il est ». Mais Machiavel n’élargit pas cette technique « aux choses telles qu’elles sont.» Il ne s’agit pas de remplacer l’objectif
politique de réaliser le monde tel « qu’il doit être » par celui de fabriquer un monde « tel paraitrait être » aux gouvernés. Le politique n’est pas un pur artifice
généralisant la production d’apparence comme mode d’exercice du pouvoir. Une mystification absolue n’est pas pensée puisqu’il faudrait établir une distance entre le peuple et les « choses
telles qu’elles sont » de façon à introduire, comme Machiavel le fait pour le pouvoir, un intermédiaire, fait d’images et de discours, propres à faire passer l’apparaître pour l’être. Or,
tant que le peuple croit que ce qu’il peut « toucher des mains » est vrai ne serait-ce que parce que la réalité continue à être garantie par dieu (parfois contre la manière de voir des
princes), et qu’il ne sent pas de séparation entre le réel immédiat et lui, il y a peu de chance que le discours politique ou savant sur les choses parviennent à avoir un degré de réalité plus
élevé que les choses telles qu’elles sont données dans l’expérience. Ce qui n’est pas toujours le cas, dans un monde médiatique tel qu’on le connait aujourd’hui. En tous les cas, le pouvoir ne
pourra pas de si tôt s’émanciper du sens commun voir le combattre, en s’appuyant sur la formation de vérités totalement disjointes des pratiques ordinaires. Proche en cela d’Aristote, la
multitude est susceptible de sagesse et de juste jugement: « La multitude est plus sage et plus constante qu’un prince »26 affirme-t-il en insistant sur cette idée à laquelle il
consacre un chapitre entier : « Un peuple qui commande sous l’empire d’une bonne constitution sera aussi stable, aussi prudent, aussi reconnaissant qu’un prince. Que dis-je ? Il le sera
encore plus que le prince le plus estimé pour sa sagesse. »27 Il ajoute : « Quant à la sagacité et à la constance, je soutiens qu’un peuple est plus prudent, moins volage et dans
un sens plus droit qu’un prince. Ce n’est pas sans raison que l’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu On voit, en effet, l'opinion universelle produire des effets si merveilleux
dans ses prédictions, qu'il semble qu'une puissance occulte lui fasse prévoir et les biens et les maux. Quant au jugement que porte le peuple sur les affaires, il est rare, lorsqu'il entend deux
orateurs qui soutiennent des opinions opposées, mais dont le talent est-égal, qu'il n'embrasse pas soudain la 'meilleure, et ne prouve point ainsi qu'il est capable de discerner la vérité qu'il
entend. »28
Puisque le politique n’est pas uniquement un art de la mise en scène et de la maîtrise de l’opinion par des images et des discours, il lui faut examiner le peuple sous un autre angle.
L’invariable variabilité humaine
Machiavel insiste à plusieurs reprises sur l’affection du peuple. Ses propos ne sont toutefois pas univoques. Dans Le prince, au chapitre XVII où il traite de la cruauté et de la clémence et
s’interroge sur le problème de savoir « s’il vaut mieux inspirer l’amour ou la haine », la réponse est que l’un et l’autre sont nécessaires. Mais s’il faut choisir : « Il est
beaucoup plus sûr de se faire craindre qu’aimer ». Par contre, au chapitre XX intitulé « Si les forteresses et toutes les autres choses que les princes font chaque jour leur sont utiles
ou non », il tranche plus nettement en faveur de l’amour que de la haine. Il reprend la discussion à partir d’un problème que l’on peut résumer en ces termes : le prince pour conserver
son Etat doit-il ou non suivre les enseignements « des sages ancêtres » pour lesquels « il faut tenir Pistoie par les factions, et Pise par les forteresses. » ?
Cette question est importante puisqu’il s’agit de savoir s’il faut préférer la division à l’unité, d’un côté, et les forteresses aux cœurs, de l’autre. Machiavel, montre les inconvénients de
l’entretien des dissensions. Pour lui, cette politique pouvait convenir dans les temps où « existait en Italie un certain équilibre des puissances », mais il considère que les
conditions ont changé. Aussi affirme-t-il : « les divisions ne peuvent profiter à personne »29 car les villes sujettes aux divisions tombent fatalement plus vite devant l’ennemi.
Nourrir des dissensions afin que les différentes factions ne s’unissent contre le prince comporte au final plus d’inconvénients que d’avantages. Ce qui lui fait conclure que « Jamais chez un
prince fort ne seront tolérées de pareilles divisions »,30 même s’il nuance son propos en ajoutant immédiatement qu’elles « peuvent servir en temps de paix, car elles permettent de
mieux tenir en main la population ; mais quand la guerre survient, on voit éclater leur caractère fallacieux. » 31 La nuance a toutefois une portée limitée dans la mesure où justement
l’art de gouverner est un art de prévoir. Or, l’avantage en temps de paix ne peut compenser les inconvénients en temps de guerre si l’on prend au sérieux l’idée selon laquelle « La meilleure
forteresse au monde est l’affection du peuple. »32, mais aussi celle par laquelle il achève son chapitre en blâmant quiconque se fiant aux citadelles de pierre plus qu’au cœur du peuple,
« ne fera qu’un petit cas de la haine populaire. »33 Il le précise de nouveau dans le Discours par une mise en garde directe : « Je m'adresse donc au prince et je lui dis : «
Est-il rien de moins propre qu'une forteresse pour contenir des sujets dans l'obéissance? Car elle t'encourage à les opprimer, et l'oppression à son tour les excite à ta ruine ; bientôt leur
fureur s'accroît à un tel degré, que cette forteresse, qui les irrite, ne peut-plus te défendre. De sorte qu'un prince sage et clément, pour pouvoir toujours être, bon et ne point donner à ses
enfants l'occasion ou l'audace de dégénérer des vertus de leur père, n'élèvera jamais de places fortes afin qu'ils n'appuient point sur elles leur autorité, mais afin qu'ils l'appuient sur
l'affection de leurs sujets.»34
La question des moyens de l’attachement reste ouverte et n’appelle aucun traitement dogmatique. Si l’intérêt est mentionné, c’est en étant nuancé par l’importance accordée à la variété des
aspirations humaines qui empêche de le concevoir comme un principe absolu susceptible d’être intégré dans une explication universelle du comportement humain. Ainsi lorsqu’il affirme « Quant
au prince, il dispose de divers moyens pour s’attacher le peuple ; ceux-ci varient selon les circonstances et on ne peut en donner aucune règle certaine. »35, Machiavel attenue la portée de
ce qu’il dit à la suite : «… tant que tu soutiens leur intérêt, ils sont tout à toi, ils t’offrent leur sang, leur fortune, leur vie et leur enfants, pourvu, comme j’ai dit, que le besoin en
soi éloigné ; mais s’il se rapproche, ils se révoltent. » 36
De la crainte, de l’amour et de la variété des ressorts pour gouverner la diversité des hommes aux aspirations multiples et changeantes, émerge ainsi, parmi d’autres mobiles, un autre
terme : l’intérêt. Mais ici, au même titre que les préceptes moraux, il n’a rien d’un principe intangible érigé en dogme. « Ni le meilleur ni le pire ne sont toujours sûr »37
commente Lefort. Analysant le régime politique de Sévère que Machiavel examine, il insiste sur l’idée selon laquelle le pouvoir s’établit au cœur de l’instable et qu’il est vain de rechercher
contre l’insécurité des principes fermes et assurés qui ne sont que d’illusoires recours. Ainsi, la diversité des situations exige d’être pensée en elle-même sans être confrontée à une
essence car la société est « ouverte à l’évènement. » 38 Déchirée par d’actives contradictions, elle ne se rapporte jamais immédiatement à elle-même : « Tant qu’on
imagine la société comme le lieu où toutes choses tendent à reposer dans la plénitude de la forme naturelle, l’instable, le mouvant, le discordant sont les signes d’une dégradation de
l’Être » écrit Lefort.39 Mais justement, l’« Être » de Machiavel ne se laisse appréhender « qu’en regard de ce qui advient, dans l’articulation des apparences, dans le
mouvement qui leur interdit de la fixer et dans la remise en jeu, incessante de l’acquis. »40 Aussi éloigné du positivisme de l’essence que du positivisme du fait, « le travail du
pensé » ne se réclame pas d’une vérité en soi et « trouve plutôt sa légitimité dans la nécessité de son exercice. »41 En ce sens, loin d’être une quête de certitude tendue
vers l’Absolu, il est curiosité inquiète ouverte sur l’expérience. La stabilité du pouvoir repose paradoxalement sur la reconnaissance de l’indétermination du monde vulgaire dans lequel le prince
amené à agir avec une nécessaire prudence.
Machiavel élabore sa réflexion sur la variabilité des aspirations en se nourrissant de la vie ordinaire. Dans une lettre rédigée en décembre 1513, moment où il amorce la rédaction du Prince, il
décrit sa vie à la campagne où banni de Florence, il purge sa peine. Cette lettre célèbre parce qu’il y parle de l’écriture de ce livre est passionnante en ce qu’elle décrit ce qu’il apprend et
ce qu’il retient de son existence loin des affaires. C’est ici aussi, qu’il rencontre l’invariable variété de la condition humaine. Nous en livrons un long extrait :
« J'habite donc ma villa, et depuis les derniers malheurs que j'ai éprouvés, je ne crois pas, en tout, avoir été vingt jours à Florence. Jusqu'à présent, je me suis amusé à tendre de ma main
des pièges aux grives; me levant avant le jour, je disposais mes gluaux, et j'allais, chargé d'un paquet de cages sur le dos, semblable à Geta lorsqu'il revient du port chargé des livres
d'Amphitryon. Je prenais ordinairement deux grives, mais jamais plus de sept. C'est ainsi que j'ai passé tout le mois de septembre. Cet amusement, tout sot qu'il est, m'a enfin manqué, à mon
grand regret ; et voici comment j'ai vécu depuis ; je me lève avec le soleil, je vais dans un de mes bois que je fais couper. J'y demeure deux heures à examiner l'ouvrage qu'on a fait la veille,
et à m'entretenir avec les bûcherons, qui ont toujours quelque maille à partir, soit entre eux, soit avec leurs voisins. J'aurais à vous dire sur ce bois mille belles choses qui me sont arrivées,
soit avec Frosino de Panzano, soit avec d'autres qui en voulaient. Frosino, particulièrement, avait envoyé chercher une certaine quantité de cataste sans m'en rien dire, et, lorsqu'il s'agit de
payer, il voulut me retenir dix livres qu'il prétendait m'avoir gagnées, il y a quatre ans, en jouant à cricca, chez Antonio Guicciardini. Je commençai d'abord par faire le diable ; je voulais
m'en prendre au voiturier qui était allé le chercher, comme à un voleur ; mais Giov. Machiavelli s'interposa dans cette affaire, et nous remit d'accord. Battista Guicciardini, Filippo Ginori,
Tommaso del Bene, et quelques autres personnes m'en prirent chacun une catasta, lorsque nous avons eu ces grands vents du nord. Je promis à tous, et j'en envoyai une à Tommaso, qui en transporta
la moitié à Florence, parce qu'il s'y trouvait avec sa femme, sa servante et ses enfants pour la recevoir ; on aurait dit le Gaburro lorsque avec ses garçons il vient le jeudi pour assommer un
bœuf. M'étant alors aperçu qu'il n'y avait rien à gagner, j'ai annoncé aux autres qu'il ne me restait plus de bois ; ils en ont tous fait la moue, surtout Battista, qui met ce refus au nombre de
ses plus grandes mésaventures d'État.
Lorsque je quitte le bois, je me rends auprès d'une fontaine, et de là à mes gluaux, portant avec moi, soit le Dante, soit Pétrarque, soit un de ces poètes appelés minores, tels que Tibulle,
Ovide, et autres. Je lis leurs plaintes passionnées et leurs transports amoureux ; je me rappelle les miens, et je jouis un moment de ce doux souvenir. Je vais ensuite à l'hôtellerie qui est
située sur le grand chemin, je cause avec les passants, je leur demande des nouvelles de leur pays, j'apprends un grand nombre de choses, et j'observe la diversité qui existe entre les goûts et
les imaginations de la plupart des hommes. Sur ces entrefaites, arrive l'heure du dîner, je mange (…) le peu de mets que me fournissent ma pauvre petite villa et mon chétif patrimoine. Le repas
fini, je retourne à l'hôtellerie ; j'y trouve ordinairement l'hôte; un bouclier, un meunier et deux chaufourniers ; je m'encanaille avec eux tout le reste de la journée, jouant à cricca, à
tric-trac, il s'élève mille disputes, aux emportements se joignent les injures, et le plus souvent c'est pour un liard que nous nous échauffons, et que le bruit de nos querelles se fait entendre
jusqu'à San-Casciano.
C'est ainsi que, plongé dans cette vulgaire existence, je tâche d'empêcher mon cerveau de se moisir, je donne ainsi carrière à la malignité de la fortune qui me poursuit ; je suis satisfait
qu'elle ait pris ce moyen de me fouler aux pieds, et je veux voir si elle n'aura pas honte de me traiter toujours de la sorte. Le soir venu, je retourne chez moi, et j'entre dans mon cabinet, je
me dépouille, sur la porte, de ces habits de paysan, couverts de poussière et de boue, je me revêts d'habits de cour, ou de mon costume, et, habillé décemment, je pénètre dans le sanctuaire
antique des grands hommes de l'antiquité ; reçu par eux avec bonté et bienveillance, je me repais de cette nourriture qui seule est faite pour moi, et pour laquelle je suis né. Je ne crains pas
de m'entretenir avec eux, et de leur demander compte de leurs actions. Ils me répondent avec bonté ; et pendant quatre heures j'échappe à tout ennui, j'oublie tous mes chagrins, je ne crains plus
la pauvreté, et la mort ne saurait m'épouvanter; je me transporte en eux tout entier. Et comme le Dante a dit : Il n'y a point de science si l'on ne retient ce qu'on a entendu, j'ai noté tout ce
qui dans leurs conversations, m'a paru de quelque importance, j'en ai composé un opuscule de Principatibus, dans lequel j'aborde autant que je puis toutes les profondeurs de mon sujet,
recherchant quelle est l'essence des principautés, de combien de sortes il en existe, comment on les acquiert, comment on les maintient, et pourquoi on les perd ; et si mes rêveries vous ont plu
quelquefois, celle-ci ne doit pas vous être désagréable ; elle doit surtout convenir à un prince, et spécialement à un prince nouveau : voilà pourquoi je dédie mon ouvrage à la magnificence
de-Giuliano. Filippo Casavecchia l'a vu ; il pourra vous rendre compte de la chose en elle-même, et des discussions que nous avons eues ensemble ; toutefois je m'amuse encore à l'augmenter et à
le polir. »42
Insistant sur la diversité des goûts et des imaginations des hommes, Machiavel considère cette variété de caractères et cette variabilité d’aspirations comme irréductible. Il serait donc vain de
chercher à les contenir dans quelques grands traits saillants et constants offrant une meilleure prise aux gouvernants soucieux de prévisibilité afin de tenir en place. Plus proche d’Hésiode que
de Platon, Machiavel reprend à son compte sans le dire explicitement, la question centrale qu’avait déjà posée l’auteur de la Théogonie : comment s’acquiert et se conserve le pouvoir dans
une communauté, celle de l’Olympe, dont les membres sont agités par une invariable impétuosité et une divine imperfection? Comme dans le poème, où l’on voit que les dieux avec lesquels Zeus doit
composer sont bariolés, mi bons, mi mauvais, monstrueux, beaux, imparfaits et puissants, les hommes dont parle Machiavel ne sont pas modelables à souhait pour être gouvernés dans la cité
parfaite. Aussi, rien ne sert de vouloir les faire meilleurs qu’ils ne sont pour les rendre gouvernables. Il est vain de leur présenter un modèle jugé beau, bon, essentiel, auquel ils devraient
accepter de se conformer. De ce point de vue, les hommes sont comme les dieux d’Hésiode, on peut les gouverner, soit dans le cadre de Républiques, soit de principautés, mais non pas les dresser.
Novateur, Machiavel s’inscrit néanmoins dans un débat classique entre les théoriciens pour lesquels la variété des caractères est irréductible et doit être intégrée en tant que telle à la
réflexion sur l’art de gouverner, et ceux pour lesquels la production d’uniformité est nécessaire à son amélioration. Poser la question du pouvoir en termes d’acquisition et de conservation
plutôt qu’en termes de cité idéale comme le fait Platon, oriente la discussion politique vers les institutions permettant de s’assurer non pas de la conformité des comportements par rapport à cet
idéal, mais du règlement des conflits entre les membres d’une même assemblée qui n’ont ni les mêmes goûts, ni les mêmes besoins, ni les mêmes désirs. Chez Hésiode, cette institution est
l’assemblée des Dieux, sous le portique, le lieu des disputes et des accords. Les tensions entre conflit et consentement sont recouvertes chez Platon qui privilégie la formation d’institutions
normalisatrices contenant les « déviances » des citoyens.
Deux modèles sont en concurrence. Chez Hésiode, la variété est considérée comme une donnée intangible avec laquelle le roi-dieu doit composer. Chez Platon, l’uniformité à l’intérieur des trois
classes qu’il identifie, est considérée comme un bien que le roi-philosophe doit favoriser. Il y a donc plusieurs manières de concevoir l’assentiment selon qu’on le pense ou non dans son
rapport avec la diversité. Le gouvernant peut viser le consentement sur une toile de fond de conflits jugés incompressibles en raison de l’invariable variété humaine. Hésiode et Machiavel
penchent dans ce sens. Le gouvernant peut viser le consentement en cherchant à étouffer cette diversité par une mise en conformité pour que s’annulent les désaccords. Dans le premier cas le
politique va privilégier les institutions pour que les disputes tout en ayant des espaces d’expression trouvent en même temps des leviers pour leurs résolutions. Dans le second, il va privilégier
des institutions normalisatrices. En monarchie, comme en démocratie, le curseur peut être déplacé soit vers plus de variété soit vers plus d’uniformité en offrant des régimes de liberté très
différents selon les institutions qu’elles se donnent.
Conclusion
La renaissance italienne est le creuset dans lequel de nouvelles idées politiques, métaphysiques, scientifiques se font écho pour une critique diversifiée mais vive de la pensée dogmatique telle
qu’elle s’exprimait à l’époque au travers de la religion catholique. Charbonnel permet de dégager les grandes tendances de ces hétérodoxies multiformes qui concourent à saper les certitudes
dominantes de l’époque. Les penseurs critiques de la Renaissance attribuent à la raison le pouvoir d’atteindre des vérités de plus en plus complètes. Ils tentent de réduire l’action du
christianisme en matière morale et politique. Certains remettent en cause l’efficace de l’Eglise catholique pour assurer l’accomplissement du bien. D’autres sapent la croyance en l’immortalité de
l’âme et en la providence aussi sûrement qu’ils doutent du pouvoir des démons. Ils ont combattu le spiritualisme orthodoxe en empruntant des chemins différents mais qui se sont croisés. Ils ont
séparé le domaine de la foi et celui de la raison. Ils ont envisagé les dogmes sous l’angle de formulations provisoires et commodes. Ils ont interprété les cérémonies et les rituels
religieux comme des symboles adaptés à l'imagination populaire, mais inutiles à la raison du philosophe. Ils ont relativisé la religion catholique en montrant par des considérations historiques
qu’elle s’appuyait comme d’autres croyances sur des prodiges discutables. Ils ont montré qu’elle ne pouvait prétendre à la position privilégiée qu’elle s’attribuait en jouant de la crédulité
humaine. Ils ont souligné la fonction politique de la religion et de la morale chrétienne sapant ainsi son prestige surnaturel. Ils ont nié l'immortalité personnelle de l’âme. Ils ont examiné
l'influence du milieu, du climat et du tempérament sur la morale. Enfin, ils ont supprimé « la Providence particulière » pour lui préférer une providence générale ressemblant fort
« au mécanisme des Lois, si bien que la prière devient inefficace et le miracle illusoire. » Et ont laissé « de côté, le principe de perfection, si capital chez Plotin, pour
métamorphoser le Dieu du spiritualisme en une force immanente, mêlée au corps de l’Univers, et pour amorcer ainsi le panthéisme. »43 Formation d’un creuset d’éléments critiques dans lequel
puiseront les hétérodoxes des siècles suivants pour combattre les nouvelles orthodoxies.
Machiavel semble plus proche de l’esprit positif et critique de l’Ecole de Padoue que du courant néoplatonicien dont Marsile Ficin, ami de Laurent de Médicis, est l’un des représentants
florentins. Les padouans dont l’université est créée au XIII, sans occuper tout le front contre l’orthodoxie religieuse sont l’une des tendances remarquables de la Renaissance italienne.
Pomponazzi, humaniste rationaliste en est l’un des fers de lance au temps de Machiavel. Il publie à peu près à la même époque De immortalite animae (1516) et Des causes de tout ce qui se passe
dans la nature et des enchantements (composé en 1520). Aussi, s’il est difficile d’affirmer que Machiavel se soit directement inspiré de Pomponazzi, il n’en demeure pas moins que les idées
véhiculées par les padouans résonnent avec la sensibilité de cette philosophie politique. A la différence des scolastiques dont l’objet du savoir est l’Absolu, les padouans en orientant leur
recherches vers les réalités premières et l’expérience, jettent les bases d’une philosophie naturelle. Pour Pomponazzi : « Les causes naturelles, nous suffisent pour expliquer ces phénomènes
et il n'y a aucune raison nécessitante de les attribuer aux démons il est donc vain d'y recourir. Il est ridicule en effet et tout à fait extravagant d'abandonner ce qui se voit, ce qui se prouve
par raison naturelle pour chercher l'invisible »44
Sa démarche intègre le doute, qui sera le point de départ de la pensée cartésienne à la charnière de l’âge baroque et du classicisme français, mais aussi plus tard de la critique de l’orthodoxie
économique de Mably exposée dans l’ouvrage Doutes proposés aux philosophes économistes sur l’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques.45 Ainsi écrit Pomponazzi : « Mais ce que
j'ai dit fait lever en moi un grand doute. Plût au ciel que je pusse le résoudre! Du moins je veux l'exposer parce que le doute n'est pas absolument inutile à la science celui-là n'a pas la vraie
science, qui n'a pas d'abord douté. »46
Cette philosophie rencontre non pas tant l’Un et l’Absolu que la variété dont nous avons vu qu’elle était au cœur de la pensée de Machiavel : « Car la beauté de l'univers écrit
Pomponazzi, consiste dans la variété; et ce ne serait pas l'univers s’il n'était composé de tant d'êtres différents. Comme un homme ne serait pas complet s'il n'avait tous ses membres, si divers.
Si un homme, en effet, n'avait que le cœur ou l’œil ce ne serait pas un homme, cela est évident. C'est pourquoi il faut accorder que Dieu est l'auteur de tous les êtres, qui tiennent ainsi de
tous leurs défauts, que ces êtres soient visibles ou invisibles; et que la si grande diversité des êtres visibles sublunaires, a pour origine les corps célestes. Ainsi les corps célestes par
leurs parties différentes et leurs aspects divers mettent de la variété dans le monde inférieur. C'est pourquoi nous voyons que certaines années les animaux réussissent mieux, d'autres moins.
Nous voyons même que les régions différentes du ciel agissent sur les divers animaux, plantes, pierres, etc. Cela est dans saint Augustin au livre V de la Cité de Dieu et dans beaucoup d'autres
endroits l'Eglise même le chante, puisque tout cela fait partie des œuvres du Seigneur. Donc pour parler du mal physique, il n'y a pas d'inconvénient à dire que Dieu est l'auteur du mal ainsi
entendu. »47
Si l’influence de Machiavel n’a cessé de s’exercer, il n’en demeure pas moins que son combat contre l’esprit de système et contre l’univocité des mobiles d’action a semblé fléchir devant les
monarchies centralisées qui, loin de se satisfaire du paysage bariolé qu’il avait dépeint, ont au contraire recherché les moyens de contenir la multitude en tentant, sans nécessairement y
parvenir, d’étouffer sa diversité. Tel sera effectivement l’enjeu de l’art de gouverner lorsque la prévisibilité aura partie liée avec l’uniformisation. La reconnaissance de la variété des
aspirations humaines s’estompera en effet à l’occasion notamment d’une découverte au 16ème siècle : celle de la souveraineté. Cette conceptualisation du pouvoir appellera de nouvelles
méthodes sur la base de nouvelles questions posées par un face-à-face inédit entre le roi et le peuple: quelles sont les passions du populaire ? Sont-elles de même nature que celles du
prince ? Si les valeurs chevaleresques, celles de gloire et d’honneur sont le propre des grands, le peuple est-il animé par d’autres mobiles, moins belliqueux et surtout moins dangereux pour
les puissants? Quels seraient-ils ? Au besoin, comment les encourager ? La monarchie, paysage politique dans lequel ces interrogations apparaitront, fournira le cadre de solutions très
éloignées de l’univers de Machiavel. L’instrumentalisation de la morale et de l’intérêt perceptible chez le philosophe ne sera pas oubliée mais pour un usage différent dès que l’une et l’autre
seront intégrés au système absolutiste arrimé sur un nouvel ordre du monde, un nouvel ordre politique et une nouvelle orthodoxie.
Notes
1 N. Machiavel, L’art de la guerre, Oeuvres de Machiavel. Nouvelle édition, Tome 7, éditeur Volland, Paris, 1793, p. 208 et suivantes (orthographe modernisée).
2 N. Machiavel, Le prince suivi de Choix de lettres, préface de R. Aron, traduction, notes et postface de J. Anglade, Librairie Générale Française, Paris, 1972, p.1.
3 Idem, p.1.
4 N. Machiavel, Le prince suivi de Choix de lettres, préface de R. Aron, traduction, notes et postface de J. Anglade, Librairie Générale Française, Paris, 1972, pp. 125-126.
5 N. Machiavel, Oeuvres de Machiavel, traduction nouvelle par T Guiraudet, Tome 8, éditeur Potey, Pichard, Paris, 1798, pp.3-4.
6 I. Taddei, « Le système politique florentin au XVe siècle » dans Florence et la Toscane, XIVe-XIXe siècles, J. Boutier, S. Landi, O. Rouchon (dir), PU Rennes, Rennes, 2004,
p.32.
7 Idem, p. 32.
8 8 et10 novembre 1512.
9 P. Bayle, Dictionnaire historique et critique. T. X, Maccius-Multius, éd. augm. de notes extraites de Chaufepié, Joly, La Monnoie, Leduchat, L.-J. Leclerc, Prosper Marchand, etc.,
éditeur Desoer, Paris, 1820-1824, p.23.
10 Idem, p.23.
11 N. Machiavel, Le prince suivi de Choix de lettres, préface de R. Aron, traduction, notes et postface de J. Anglade, Librairie Générale Française, Paris, 1972, p.120.
12 Idem, p. 79
13 Idem, p. 79
14 Idem, pp.79-80.
15 Idem, p.94.
16 A. Smith, Théorie des sentiments moraux, texte traduit, introduit et annoté par M. Biziou, C. Gautier, J-F. Pradeau, Presses Universitaire de France, Paris, 1999, p.323.
17 M. Detienne, J-P., Vernant, Les ruses de l’intelligence – La mètis des Grecs, Flammarion, Paris, 1974, p.10.
18 N. Machiavel, Le prince suivi de Choix de lettres, préface de R. Aron, traduction, notes et postface de J. Anglade, Librairie Générale Française, Paris, 1972, p.134.
19 Idem, p.94.
20 Le chapitre XX se propose d’examiner « Si les forteresses et toutes les autres choses que les princes font chaque jour leur sont utiles ou non » Idem, p.110.
21 Idem, p.130.
22 Idem, 130-131.
23 Idem, p.94.
24 Idem, p.93.
25 Idem, p.94.
26 N. Machiavel, Les décades de Tite-Live, dans Oeuvres politiques de Machiavel, traduction Périès, édition contenant le Prince et les Décades de Tite-Live, avec une étude, des notices et
notes par M. Ch. Louandre, éditeur Charpentier, Paris, 1851, p.281.
27 Idem, p.284.
28 Idem, p.285.
29 N. Machiavel, Le prince suivi de Choix de lettres, préface de R. Aron, traduction, notes et postface de J. Anglade, Librairie Générale Française, Paris, 1972, p.112.
30 Idem, p.112
31 Idem, p.112
32 Idem.115.
33 Idem, p.115.
34 N. Machiavel, Les décades de Tite-Live, dans Oeuvres politiques de Machiavel, traduction Périès, édition contenant le Prince et les Décades de Tite-Live, avec une étude, des notices et
notes par M. Ch. Louandre, éditeur Charpentier, Paris, 1851, p.389.
35 N. Machiavel, Le prince suivi de Choix de lettres, préface de R. Aron, traduction, notes et postface de J. Anglade, Librairie Générale Française, Paris, 1972, p.52.
36 Idem, pp.87-88.
37 C. Lefort, Le travail de l’œuvre de Machiavel, Gallimard, Paris, 1972, p.421.
38 Idem, p.425.
39 Idem, p.426.
40 Idem, p.426.
41 Idem, p.426.
42 N. Machiavel, Lettre à Francesco Vettori (l'exposé des motifs d'une loi sur le recrutement, une lettre célèbre où Machiavel décrit son existence au temps où il écrit le Prince). Une édition
électronique réalisée à partir de la lettre de Machiavel, écrite à Florence le 10 décembre 1513. (Extraits). Document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, Dans le cadre de la
collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.htmlUne collection développée en collaboration avec la
Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi
43 J.-R. Charbonnel, La pensée italienne au XVIe siècle et le courant libertin, éditeur Champion, Paris, 1919, pp.715-716.
44 P. Pomponazzi, Les Causes des merveilles de la nature ou Les enchantements, première traduction française, avec une introduction et des notes par Henri Busson, éditeur Rieder, Paris,
1930, p.118.
45 G., Mably (de), Doutes proposés aux philosophes économistes sur l'ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, éditeurs Nyon, Vve Durand, La Haye/Paris, 1768. .
46 P. Pomponazzi, Les Causes des merveilles de la nature ou Les enchantements, première traduction française, avec une introduction et des notes par Henri Busson, éditeur Rieder, Paris,
1930, p.169.
47 Idem, p. 238.
Bodin
Le souverain et la quête
d'uniformité
Anne Salmon
Pour citer cet article
A. Salmon, "Le souverain et la quête d'uniformité " , Sciences et humanités en société, Paris, 04/2018, https://www.sciencesethumanites.fr
Introduction
La Renaissance voit le pouvoir se recentrer et se concentrer autour de la personne royale. Les grands Etats qui se constituent dès la fin du Moyen Age tendent à évoluer vers la monarchie absolue
qui entend éliminer les pouvoirs intermédiaires dont les seigneurs féodaux et l’Eglise sont les principaux représentants. La souveraineté une et indivisible qui s’incarne désormais dans la figure
du roi suppose en creux, l’exercice continu et perpétuel de la puissance, s’étendant désormais uniformément sur tout homme dans l’Etat et toute chose dans l’univers. Elle réclame un nouvel
art de gouverner les hommes et les choses.
Ces mutations sont difficilement compréhensibles sans l’examen de la science nouvelle qui s’inspire de Machiavel lorsqu’il prend les choses et les hommes tels qu’ils sont, mais le dépasse à
partir du moment où l’humanité concurrençant Dieu, devient le centre à partir duquel s’établit un principe d’unification pour mettre le monde à son service. En redéfinissant les rapports entre le
sujet et l’objet, entre l’homme et la nature, c’est une promesse inouïe que le savant fait au politique : en suivant la nouvelle méthode, il est possible de maîtriser ce qui échappe
momentanément. La science parle un langage que le prince aime entendre, celui de la puissance, voire de la toute puissance dans un temps où conforté par les doctrines politiques, le monarque se
croit en mesure de régner en maître absolu.
Face à la société disloquée dans laquelle des groupes s’affrontent sur les dogmes religieux, face aux contrées inconnues qui, depuis la découverte de l’Amérique bouleversent la carte du monde,
face au ciel étoilé rendu méconnaissable par les sciences physiques, les savants vont progressivement redéfinir le centre, ce sera le sujet et sa raison ; ils affirmeront un principe de
connaissance, ce sera la mécanique ; ils préciseront un langage, ce seront les mathématiques ; ils désigneront un horizon : dominer la nature pour, comme le dit Bacon,
s’approprier ses opérations à l'utilité du genre humain. La philosophie se proposera ainsi tel que l’énonce Smith au 18ème siècle « de mettre à découvert les liaisons secrètes qui unissent
les apparences si variés de la nature », incohérences apparentes qui « semblent requérir une chaine d’évènements intermédiaires qui les lie avec quelques et rétablissent dans l’univers
ce cours uniforme, cet heureux accord qui en fait un tout bien lié. »1
Les ressources idéelles de la science moderne lorsqu’elles entrent en résonance avec les préoccupations politiques ont un poids considérable. Naturellement, il ne s’agit pas de prétendre qu’elle
a été forgée pour soutenir la monarchie en passe de s’absolutiser, mais de repérer des correspondances entre une nouvelle représentation de la puissance de l’homme dans le monde et une nouvelle
représentation du pouvoir du monarque face au peuple.
Pour appréhender la transmutation des valeurs à la Renaissance, le sociologue Weber a insisté sur les facteurs religieux, l’économiste Hirschman, sur les facteurs politiques, l’historien Braudel
sur les facteurs sociaux. Sous un autre angle, il apparait que les bouleversements épistémologiques perceptibles tout particulièrement dans la physique sont à prendre en considération afin de
saisir le moment où l’humanité glorieuse et souveraine, devenue le centre de l’univers infini se situe comme le point de jonction entre un nouvel ordre du monde et un nouvel ordre
politique.
La modernité et ses angoisses
Déjà au temps de Machiavel, l’espace terrestre s’était distendu et le ciel s’était recentré sur le soleil mettant la terre à une place périphérique. Mais une (re)découverte plus tardive modifie
en profondeur la représentation du monde en le faisant vaciller. C’est l’infinitisation de l’univers. Avec elle, une menace est pressentie tant elle remet en question la cosmologie qui d’Aristote
jusqu’à la fin du Moyen Age, fixait la place de l’homme au sein de la sphère étoilée. Or, ce bouleversement du ciel n’est pas sans répercussion sur la terre dès que l’on repère les relations
entre l’organisation de l’univers et l’organisation politique. Ces liens ce sont certes relâchés, mais ils restent à l’état de trace et continuent d’imprégner la modernité
occidentale.
La science grecque émancipée des récits mythiques avait déjà entrepris de dissocier la cosmologie de la politique tout en conservant la terre au centre du monde comme l’enseignait Aristote. La
question de la place de l’homme a donc une réponse claire et solide : habitant de la terre, il se situe au centre du cosmos clos, au plus près des dieux, et n’a rien à voir avec le chaos. Ce
schéma perdure jusqu’à la Renaissance même s’il commence à vaciller y compris lorsque l’on maintient l’idée que Dieu a placé l’homme au centre du monde. Mais comme on le voit avec Pic de la
Mirandole à la fin du 15ème siècle, il est le seul être qui, par son jugement, a le pouvoir de se façonner lui-même, et ce faisant de se déplacer : « En fin de compte, le parfait
ouvrier décida qu’à celui qui ne pouvait rien recevoir en propre serait commun tout ce qui avait été donné de particulier à chaque être isolément. Il prit donc l’homme, cette œuvre
indistinctement imagée, et l’ayant placée au milieu du monde, il lui adressa la parole en ces termes : « Si nous ne t’avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te
soit propre, ni aucun don particulier, c’est afin que la place, l’aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton vœu, à ton idée. Pour les autres,
leur nature définie est tenue en bride, c’est ton propre jugement, auquel je t’ai confié, qui te permettra de définir ta nature. Si je t’ai mis dans le monde en position intermédiaire, c’est pour
que de là tu examines plus à ton aise tout ce qui se trouve dans le monde alentour. Si nous ne t’avons pas fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c’est afin que, doté pour
ainsi dire du pouvoir arbital et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont
bestiales ; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines. »6
La cosmologie qui a prévalue tout au long du Moyen âge a progressivement été remise en cause. Cues à l’aide de sa célèbre méthode7 a troublé les conceptions médiévales sur la finitude de
l’univers. Il a pensé la pluralité des mondes et les a peuplé d’habitants;8 Vinci a contribué à démolir le cosmos aristotélicien en rejetant le géocentrisme et en affirmant l’homogénéité
des espaces célestes. Copernic a arraché la terre du centre de la sphère des étoiles fixes pour y placer le soleil; Digges a substitué au monde clos un monde ouvert ; Bruno a présenté le
schéma d’une cosmologie infinitiste. Descartes et Galilée ont parlé d’une matière s’étendant jusqu’à une distance « indéfinie. »9 Qu’est devenue cette place de l’humanité lorsque
l’univers s’est infinitisé ? Situation angoissante dans laquelle les frontières entre le nommable et l’innommable, entre le déterminé et l’indéterminé, entre le pur et l’impur se sont
brouillées. Avec la question l’univers infini, c’est en fait, l’ensemble du cosmos qui est en jeu. Où est le centre? Cette notion a-t-elle encore un sens ? La question est posée avec force
par Pascal : « Tout ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces
imaginables, nous n’enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C’est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c’est le plus grand caractère
sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée. Que l’homme, étant revenu à soi, considère ce qu’il est au prix de ce qui est ; qu’il se regarde comme
égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même, son juste
prix. Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ?»10
En se focalisant sur le processus de « désenchantement » du monde comme condition de sa rationalisation, les sciences humaines ont minimisé l’importance des liens entre l’infini,
l’indéterminé et le chaos. Affirmer que dieu en s’éclipsant a ouvert la voie à la raison humaine ne permet pas de saisir l’angoisse qui traverse la pensée moderne tout particulièrement à la
charnière du 16ème et 17ème siècle. Cette thèse contribue à occulter le rapport problématique de l’homme occidental au monde dans une période où il bien difficile d’admettre avec Weber que le
protestantisme a totalement tordu le cou à la magie. Dans ce contexte intellectuel troublé, au contraire, rien ne semble pouvoir endiguer la déferlante de démons qui submerge l’Europe.
« Tout le monde croit aux sorciers » souligne Mousnier.11 La croyance en l’action des puissances démoniaques et magiques loin de s’éteindre au XVI prend comme l’indique Charbonnel, une
ampleur considérable12. Diable à forme humaine ou de bouc noir, démons, sorcières sont conviés aux assemblées de sociétés secrètes pour des blasphèmes, des sacrilèges, des orgies, des pactes avec
Satan, des hystéries collectives. Se renforcent l’alchimie et la magie avec ses amulettes, ses paroles mystérieuses, ses nombres, ses onguents, ses potions composée d’opium, de laudanum, de
mandragore. Maléfices, poudres, herbes, brins de paille, eau bénite et autres choses saintes sont communs pour empêcher le sommeil, semer la haine ou l'amour, empoisonner, tarir le lait,
faire périr par envoûtement, deviner l’avenir. Autant de pratiques que l’inquisition traque. Des persécutions et des supplices sont ordonnés par ses tribunaux qui regorgent de suspects. Des
centaines de condamnés brulent chaque année sur des bûchers élevés sur les places publiques. Foisonnent les débats dans lesquels jurisconsultes, archevêques, savants, médecins, professeurs, rois,
jésuites, franciscains, protestants discutent les témoignages, avancent des théories et pèsent des objections. On discute de la puissance des vents magiques qui provoquent toutes sortes de
fléaux, des brouillards maléfiques, des mutations extraordinaires de démons en araignées, chats, loups, couleuvres... Une myriade de personnalités prennent part à ces discussions : Samuel
de Cassini, Jean Dodone, Jean Nider, Nicolas Jaquerio, Barthélémy Spina, Paul Gallandi, Jean-François Pic de la Mirandole, Jérôme Menchi de Viadana, Ambroise Paré, Jean Langio, Félix Plater,
Léandre Alberti, Alphonse Spinai, Ambroise Vignato, Ulric Molitor, Jean-François Ponzinibio, Pierre Borboni, Gelse Césalpino, Jean Wierus, Thomas Eraste, Daniel Sennert. Lambert Daneo, Jean
Campano, Jacques d'Angleterre, Jean Bodin, Jean-Georges Godelmann, Martin Bielmann, Martin Delrio etc. Des livres sont publiés parmi lesquels on peut noter celui de Jean Bodin, De la démonomanie
des sorciers, édité à la fin du 16ème siècle.13
En témoigne la bulle lancée à la fin du 15ème siècle par Innocent VIII qui dépêcha deux inquisiteurs en Allemagne pour mettre un terme à ces pratiques, en témoignent les instructions données en
1494, 1521, 1523 et 1623 par Alexandre VI, Léon X, Adrien VI et Grégoire XV, l’attitude officielle des Papes et des dignitaires trahit des craintes qui se reflètent dans la bulle de Sixte-Quint.
Celle-ci condamne « la géomancie, l'hydromancie, l'aéromancie, la pyromancie, l'oniromancie, la chiromancie, la nécromancie. » Elle interdit « de jeter les sorts avec des grains de
froment ou des fèves, de pratiquer pactes ou enchantements, de briller des parfums ou des cierges au diable, de lire des ouvrages d'astrologie. » Elle défend de tracer figures cabalistiques et
d’interroger le démon sur l'avenir etc. Face à ces puissances mystérieuses, les théologiens avançaient l’action du diable sans pouvoir se défendre d’une croyance en ces maléfices qu’ils
combattaient néanmoins. « Selon Wierus, note Charbonnel, la plupart des protestants, comme la plupart des catholiques, regardaient les rites du sabbat et de la magie comme des vérités
démontrées. Luther croyait aux œuvres du démon ; Mélanchton défendait l'astrologie ou destin physique contre Pic de la Mirandole et relatait de nombreux cas annoncés par des conjonctions de
planètes ; il louait fort Jacques Millich pour avoir proclamé la nécessité d'associer l’astrologie à la médecine. »14
Loin d’être face à un monde « neutre », l’homme occidental des 16ème et 17ème siècle affronte un univers qui suscite l’effroi et n’a donc rien à voir avec le « cosmos froid »
dans lequel serait plongé le « pauvre européen».15 Au contraire, avec la découverte de l’univers infini, l’homme en perdant sa place au centre a été englouti dans un univers inquiétant ainsi
qu’en atteste le célèbre aveu de Pascal: « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraye.»16 Cet univers ouvert sur l’infini et désinvesti par Dieu n’est pas cette matière étendue
désincarnée qui se prête docilement à la rationalisation cartésienne. En faisant éclater le monde clos, c’est la séparation nette et tranchée entre le cosmos (demeure de l’homme) et le chaos
(lieu de l’indéfini, de l’indifférencié) qui s’estompe : dès lors, l’homme replié sur lui-même tel un microcosme, voit dans l’infinie nature qui s’étend indéterminée, ce que les anciens
appelait chaos : l’innommable. On comprend, que les démons fonctionnent comme un moindre mal, car sans eux, l’angoisse pourrait être bien pire : inqualifiable. C’est ce que l’on
aperçoit dans ce poème baroque du calviniste Guillaume Salustre du Bartas « La semaine ou la Création du monde (1579). Nous en citons un large extrait :
« Ce premier monde estoit une forme sans forme,
Une pile confuse, un meslange difforme,
D’abismes un abisme, un corps mal compassé,
Un Chaos de Chaos, un tas mal entassé :
Où tous les elemens se logeoyent pesle-mesle :
Où le liquide avoit avec le sec querelle,
Le rond avec l’aigu, le froid avec le chaud,
Le dur avec le mol, le bas avec le haut,
L’amer avec le doux : bref durant ceste guerre
La terre estoit au ciel et le ciel en la terre.
La terre, l’air, le feu se tenoyent dans la mer :
La mer, le feu, la terre estoyent logez dans l’air,
L’air, la mer, et le feu dans la terre : et la terre
Chez l’air, le feu, la mer. Car l’Archer du tonnerre
Grand Mareschal de camp, n’avoit encor donné
Quartier à chacun d’eux. Le ciel n’estoit orné
De grands touffes de feux : les plaines esmaillees
N’espandoyent leurs odeurs : les bandes escaillees
N’entrefendoyent les flots : des oiseaux les souspirs
N’estoient encore portez sur l’aille des Zephirs.
Tout estoit sans beauté, sans reglement, sans flamme.
Tout estoit sans façon, sans mouvement, sans ame :
Le feu n’estoit point feu, la mer n’estoit point mer,
La terre n’estoit terre, et l’air n’estoit point air :
Ou si ja se pouvoit trouver en un tel monde,
Le corps de l’air, du feu, de la terre, et de l’onde :
L’air estoit sans clarté, la flamme sans ardeur,
Sans fermeté la terre, et l’onde sans froideur »17
Comme l’explique justement Mousnier, les découvertes de la science en ouvrant le monde sur l’infini entre en résonance avec une sensibilité que le baroque exprime. Dès lors le geste de Rubens et
de Rembrant fait écho à celui des mathématiciens qu’ils s’appellent Kepler ou Gallilée : tous mettent du mouvement dans l’univers, là où l’on avait cru à l’immuable. « La science
écrit-il semblait donner raison à la sensibilité. Et c’était le chaos. »18
Le débordement irrationnel dont les sorcières sont le symptôme témoigne d’une angoisse profonde face à un univers qui semble se disloquer. Il ne peut toutefois pas être confondu avec une attitude
qui, tout en adoptant une posture sceptique, refuse de se complaire dans l’irrationalisme autant qu’il se détourne des réponses dogmatiques rassurantes. Les libertins continuent « les
critiques des rationalistes de la Renaissance, Pomponazzi, Machiavel et le prince des sceptiques Montaigne. »19 Ces attitudes, en intégrant le doute, ou bien la variété, ou bien encore la
variabilité, chacune à leurs manières incitent à rechercher des réponses à l’angoisse selon d’autres modalités qu’une quête frénétique de certitude pour affronter l’indéterminé, l’indéfini.
Peut-être nous apprennent-ils à prendre à bras le corps cette question qui semble hanter la modernité : de quoi l’homme occidental a t-il peur pour vouloir se réfugier dans des ordres
si certains, parfois si étroits, qu’ils l’enserrent aussi sûrement qu’un prisonnier dans une cage? Ces libertins aussi éloignés du surnaturel païens que du surnaturel chrétien, font du doute une
arme. La thématique de la fable, de la comédie du monde est développée par La mothe Le Vayer au début du 17ème siècle. Gassendi, convaincu des thèses de Copernic et de Galilée, réhabilite Epicure
et avance la thèse d’une infinité de mondes semblables au notre. 20
Un nouvel ordre du monde
La science nouvelle a certes provoqué de l’inquiétude et même du désespoir, mais la destruction du cosmos et le déplacement de la terre n’ont pas toujours été ressentis comme une dégradation.21
Une autre voie que celle du refuge dans la démonomanie ou que celle des sceptiques marque l’entrée dans l’ère classique dans laquelle s’affirme plus fermement la certitude que l’homme peut par la
connaissance dompter le chaos. L’infinitisation de l’univers trouve effectivement un prolongement dans la découverte d’un nouveau point d’appui : le cogito distinct de la « réalité
matérielle » du monde conçue comme une pure extériorité. Descartes affirme qu’il n’a besoin que de deux choses : nous qui connaissons et les objets qui doivent être connus. Il établit un face à
face entre le sujet et les objets. La méthode bâtit ainsi une clôture invisible entre l’intellectuel et le matériel, entre le sujet pensant et les objets à penser. Le cogito cartésien tout comme
un peu plus tard, la monade Leibnizienne commencent à dresser entre l’homme et l'univers une cloison qui enveloppe le sujet individuel pour l’isoler du reste. Un nouveau programme s’élabore sur
cette conception du rapport au monde fondée sur la distinction entre d’un côté l’âme humaine à laquelle appartiennent les pensées et de l’autre, la matière qui ne pense en aucune façon.
Le sujet pensant s’impose comme l'instance primordiale partir de laquelle s’élabore un autre discours sur les choses, un autre système de signes : la mécanisation et la mathématisation de
l'univers. Il s’agit de reconstruire le monde pour qu’il ne se désagrège pas. La mécanique fournit une voie praticable. Déjà, le XVIe siècle avait empruntée cette voie avec les écrits de More qui
parlent de machine du monde,22 avec Paré dont le Dieu créateur avait « machiné » en l’espèce humaine et en toutes autres espèces les deux sexes,23 et avec d’autres auteurs24 qui
diffusent largement ces idées : la terre, l’univers, les cieux, les « ciels mobiles »25 sont des machines. Le XVIIe siècle généralise cette mécanisation et l’étend au monde animal
et végétal découvrant un levier d’Archimède pour une compréhension globale de l’univers. Dès le début du siècle, certains textes26 annoncent timidement ce que Descartes développe avec
systématicité : « A quoi l'exemple de plusieurs corps composés par l'artifice des hommes m'a beaucoup servi car je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans, et
les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque
proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir ; au lieu que les tuyaux, ou ressorts, qui causent les effets des corps
naturels, sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont
artificielles sont avec cela naturelles car, par exemple, lorsqu'une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel, qu'il est à un arbre
de produire ses fruits.»27
Entre l’automate, la machine-fabriquée, l’univers-machine, la nature-machine, l’animal-machine, le corps-machine il y a des différences de degré mais pas de rupture fondamentale. Le corps
humain composé d’une multitude de pièces, os, muscles, nerfs, artères, veines, ayant été fait des mains de Dieu est simplement une machine « incomparablement mieux ordonnée qu'aucune des
machines qui peuvent être inventées par les hommes. »28 La théorie de la nature-machine ouvre sur la non moins célèbre promesse de la science cartésienne consciente du basculement
qu’elle entraîne : l’absolue maîtrise de la nature et la possession du monde.
« Mais sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusqu’où elles peuvent
conduire et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusqu’à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer
autant qu'il est en nous le bien général de tous les hommes ; car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie; et qu'au lieu de
cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air; des astres, des cieux
et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels
ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature »29
Descartes à l’aide d’une fable comme il est souvent d’usage à cette époque, invite à pénétrer dans le nouveau monde en fixant la méthode pour s’y aventurer, le connaitre et s’en saisir :
« Sachez donc, premièrement que par la Nature je n’entends point ici quelque Déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire, mais que je me sers de ce mot pour signifier la Matière
même en tant que je la considère avec toutes les qualités que je lui ai attribuées comprises toutes ensemble, et sous cette condition que Dieu continue de la conserver en la même façon qu’il l’a
créée. Car de cela seul qu’il continue ainsi de la conserver, il suit de nécessité qu’il doit y avoir plusieurs changements en ses parties, lesquelles ne pouvant ce me semble, être proprement
attribués à l’action de Dieu, parce qu’elle ne change point, je les attribue à la Nature ; et les règles suivant lesquelles se font ses changements, je les nomme lois de la
Nature. »30
La nature n’est plus animée par toutes sortes de puissances obscures et les changements qui la caractérisent se réglant sur des lois, permet à la science qui l’appréhende de former sur les ruines
du monde-cosmos, un monde-objet dont elle étudiera les ressorts. La régularité de l’univers soumis à des lois universelles, perpétuelles s’appliquant uniformément à toutes choses et que Dieu ne
peut révoquer, permet au savoir de se détourner définitivement de l’interprétation des symboles tracés par la providence ou du commerce avec les démons. Au lieu de chercher à connaître les choses
au travers des signes susceptibles d’en dévoiler les mystères, il s’agit de les regarder telles qu’elles sont soumises à cet ordre, condition par laquelle l’homme peut s’assurer de la maîtrise de
la nature afin de la rendre utile au genre humain conformément au projet d’histoire naturelle de Bacon : « Mais une pareille histoire doit être faite avec le choix le plus sévère on n'y doit
faire entrer que des faits authentiques. Il faut surtout tenir pour suspects tous les faits merveilleux qui ont des relations quelconques avec la religion, tels que les prodiges que rapporte
Tite-Live, et regarder du même œil tous ceux qu'on rencontre dans les traités de magie naturelle et d'alchimie, et se défier de tout ce que rapportent les écrivains de ce caractère, qui,
semblables en cela aux amants de Pénélope, ont un goût trop vif pour les fables et les contes amusants (…) Car le principal but en philosophie étant de plier en quelque manière là nature pour
approprier ses opérations à l'avantage et à l'utilité du genre humain, c'est un dessein tout à fait conforme à cette fin que celui de dénombrer et de décrire tous les procédés dont l'homme est
depuis longtemps en possession, comme autant de provinces déjà conquises et assujetties. »31
Dans De la sagesse des anciens Bacon transpose cette représentation de la nature à l’univers politique en utilisant les cosmogonies antiques qu’il réinterprète. Dans la lecture qu’il fait du
mythe de l’enfantement des géants, la terre mère représente la tendance séditieuse du peuple, tandis que Jupiter et les autres dieux sont à l’image des gouvernants appelés à dompter les
rébellions, les coalitions, les complots, les médisances, les attaques contre les souverains en vue de les détrôner : « Les géants, qui étaient enfants de la Terre, firent la guerre à
Jupiter et aux autres dieux, mais ils furent vaincus et écrasés par la foudre. Puis la Terre, irritée par l'effet de la colère même des dieux, et voulant tirer vengeance de la défaite de ses
fils, enfanta la Renommée, qui doit en conséquence être regardée comme leur sœur puînée et posthume, suivant cette fiction d'un poète célèbre « La Terre, irritée par la colère des dieux,
l'enfanta, dit-on, après Cée et Encelade. » Voici quel paraît être le sens de cette fable. La Terre représente la nature séditieuse du vulgaire ou du peuple qui, étant presque toujours mécontent
de ceux qui gouvernent, soupire après les innovations. »32
L’imaginaire scientifique dont la résonance avec l’imaginaire politique est frappante, porte l’empreinte de l’ensemble ces bouleversements par lesquels, l’homme, souverain absolu, est le
centre mouvant de l’univers infini : « Que l’homme est un être étonnant ! Après Dieu, c'est le plus inconcevable. (…) Assemblage merveilleux de deux natures différentes, l'homme est le
centre d'où partent deux infinis opposés : il forme la nuance délicate qui unit les deux extrêmes. Anneau brillant, il occupe le milieu dans la chaîne immense des êtres qui descend depuis Dieu
jusqu'au néant. »33
L’idée se fait plus précise dans l’ouvrage de Pluche sur la formation des corps célestes et l’histoire du ciel : « Si tout est lié dans la nature, tout est l'ouvrage d'une même
intelligence. Voilà l'origine de tout. Si tout concourt sur la terre à aider, & à exercer l'homme; si l'homme est le centre de tous les services, de tous les avis, & de tous les rapports;
l'intention visible du Créateur dans tout ce qu'il nous montre, est que nous apprenions à nous en servir. Voilà la fin de tout, & l'homme est bien honoré d'être l'objet d'une pareille
destination. »34
L’homme en tant qu’être de raison devient alors comme un cosmos clos, un sujet actif, un principe organisateur, absolument séparé de l’espace indéfini, qui est le lieu des corps à déterminer
situés au-delà de lui-même. La mise en ordre de la nature peut commencer : en s’appuyant sur la méthode et sur les lois universelles le genre humain pourra régler la machine du monde pour
qu’elle tourne à son avantage.
Un nouvel ordre politique
Sur le plan politique, la Renaissance est une période de transition. Dans toute l’Europe, la tendance est à la constitution de grands Etats centralisés bâtis sur les ruines de l’universalisme
chrétien et du pouvoir des seigneurs déjà dépassé par la royauté. Mais très rapidement, les conflits politico-économico-religieux à l’origine de guerres civiles ensanglantent les Etats dans la
seconde moitié du 16ème siècle. La menace d’éclatement a pour conséquence de renforcer le pouvoir royal, « seule autorité commune. »35 C’est en ce sens que la réforme est l’un des
facteurs indirects de l’absolutisme aussi bien dans les pays protestants que dans les pays catholiques. Cette époque est marquée par l’extension du pouvoir législatif royal au droit public et au
droit privé. La tendance à l’unification est notable mais ne sera pleinement réalisée en France qu’à la fin de l’ancien régime. Elle est favorisée dès le 16ème siècle par la fixation par écrit du
droit, l’effort de codification et le développement de la doctrine et de la littérature juridique. En ce qui concerne le droit public, le roi est le seul détenteur du pouvoir législatif. Y
compris sur les questions qui touchent le droit ecclésiastique, il est le chef suprême en vertu du Concordat de Bologne. Il n’en demeure pas moins que certaines provinces font obstacles au
processus en se référant au régime de contrats, privilèges obtenus lors de leur rattachement à la couronne. Au niveau du droit privé, la tendance à l’unification est moins marquée. Ici, la source
essentielle demeure les coutumes dans toutes leurs diversités. Même si des tentatives d’unification apparaissent de manière sporadique, la conception de l’ancien régime en matière de droit privé
reste avant tout « à la discrétion des sujets eux-mêmes.»36 Là encore, il faudra attendre le 18ème siècle, pour qu’au nom de l’intérêt général, l’intervention dans ce domaine se précise sous
l’action du chancelier d’Aguesseau.
Au 16ème siècle, le progrès de la centralisation s’accompagne d’une concentration de l’autorité politique mais dans certaines limites. L’unification législative se heurte aux résistances locales
tandis que sur le plan doctrinaire, des digues à la puissance royale viennent borner le pouvoir du roi. Seul législateur, il ne peut toutefois pas transgresser les lois fondamentales placées au
dessus de lui. Cette doctrine se développe notamment avec Claude de Seyssel, Guy Coquille, Jean Bodin.37
Dans ce contexte, on peut comprendre que d’autres ressorts aient soulevé un certain enthousiasme dans la mesure où ils pouvaient paraître remplir mieux que le droit et mieux que la religion,
cette tâche d’uniformisation que la centralisation de l’Etat exigeait : l’intérêt est ce principe qui suscite de grandes espérances tant il semble constituer le dénominateur commun, certes
peu honorable, mais néanmoins crédible pour définir, par delà les divergences, une commune humanité. Il faut regarder la manière dont se construit le problème politique lié à la centralisation et
à la concentration du pouvoir pour comprendre comment la solution économique fondée sur la notion d’intérêt a pu s’imposer comme une évidence. L’analyse comparative du socle épistémologique sur
lequel reposent les propositions de Machiavel et de Bodin est éclairante sur ce point.
Nous avons insisté au premier chapitre sur l’imbrication du raisonnement politique et des expériences pratiques sur lesquelles Machiavel s’appuyait pour faire « toucher des mains » la
métis qu’il voulait promouvoir. Il faut aller plus loin afin de préciser en quoi cette conception s’enracine dans une épistémologie différente de celle de Bodin dont l’influence est déterminante.
Selon certains auteurs, il s’agit bien de deux épistémologies opposées. C’est en étudiant les méthodes pour interpréter l’histoire que Gerbier38 incite à repérer des divergences radicales. Chez
Machiavel, comme on l’a vu, la lecture de l’histoire et l’étude attentives des évènements présents fournissent les matériaux de maximes pratiques valables en fonction des circonstances. Comme le
souligne Gerbier, la méthode consiste donc à faire dériver les concepts et les outils de la matière même des faits. Cette approche suppose une uniformité relative des causes, ou plus exactement
une « invariable variabilité » susceptible d’encadrer « une mutation constante des combinaisons de causes »39 produisant elle-même une variété d’effets sans cesse
renouvelés. A partir de ce cadre, il est possible d’entreprendre de raisonner sur les histoires singulières en vue d’une interprétation permettant de fonder un choix pratique. Cette manière de
concevoir l’antériorité des faits bruts par rapport aux raisons que l’on peut en tirer, implique que les séquences causales ne s’élèvent jamais au rang de lois. En effet, elles ne valent
« que dans le contexte même de leur formulation.»40 Machiavel entend ainsi développer un art de la lecture des histoires sur lequel se fonde l’exercice de la raison.
Bodin inverse la perspective. Glissant de « empirisme civil » vers un « idéalisme civil », il conduit, sous l’influence de Platon, à amenuiser la part de
« l’invariable variabilité » au profit d’un nouvel ordre universel. Il en appelle effectivement à ceux qui « comprennent que la nature de la justice n’est pas de changer selon la
volonté des hommes mais de se conformer à des lois éternelles »41 Cette conception exige de nouveaux principes sur lesquels devront désormais se régler les conduites : à la souplesse de
la mètis succède l’impératif de la ratio. A la ruse, la conformité austère.
Dans les six livres de la république, le foisonnement d’exemples historiques est entrecoupé d’incises théoriques à vocation universelle. Là encore, l’étude de Gerbier est précieuse pour saisir
les enjeux épistémologiques de ce nouvel usage de l’histoire. Ici, explique-t-il, il ne s’agit pas de remonter du particulier au général. Au contraire, il faut partir de l’universel pour
appréhender le particulier. Comme le précise Bodin : « Et de même qu’ils se trompent, ceux qui examinent les cartes d’une région avant d’avoir précisément appris avec précision la
figure entière de l’univers et le rapport (ratio) de ses parties singulières entre elles et avec le tout, de même n’errent pas moins ceux qui peuvent pouvoir comprendre les histoires singulières
(singulas historias) avant d’avoir appris à juger l’ordre et la succession des histoires universelles et de tout l’ordre des temps comme s’ils étaient exposés sur une carte. »42
La construction rationnelle d’un cadre universel est la condition nécessaire à la lecture et à l’interprétation des singularités. Bodin vise la restauration d’un ordre à partir duquel les
évènements prennent sens. Il s’agit d’une rationalisation à priori du système éternel qui est au fondement de l’histoire et du droit. Sur cet ordre rationnel repose une axiologie qui marque le
nœud de rupture épistémologique avec Machiavel. En effet, c’est là que la méthode de Bodin promet une explication des évènements passés et une prévision du futur qui s’éloigne de son prédécesseur
en ce qu’elle vise l’acquisition de préceptes certains pour définir la conduite à tenir.
Cet ordre à quelques similitudes avec l’ordre des imaginations que dénonçait Machiavel si ce n’est que l’un repose sur une rationalisation, l’autre sur une idéalisation. Les deux se
rejoindre toutefois dans l’affirmation d’une exigence de conformité à l’égard d’un absolu enserrant la variété des faits. Bodin élabore sa théorie de la souveraineté sur ce socle épistémologique.
La « République bien ordonnée » s’établit sur la soumission à la raison pour une « ordination du multiple à l’un » qui conduit à « la réduction de la diversité et
l’infinité des passions individuelles à l’unicité d’un principe d’ordre : le souverain en personne. »43
La souveraineté fondée sur ce socle épistémologique est liée par ailleurs à trois évolutions : la naissance de la monarchie absolue, de l’Etat moderne, et la construction moderne du concept
de volonté.
Ce concept est effectivement nouveau à l’échelle de l’histoire des idées. Arendt voit en Saint Augustin un précurseur. Les analyses plus récentes permettent toutefois d’en douter. Ainsi que le
montre Romano, la volonté n’est pas encore chez cet auteur « une faculté abstraite » et « indéterminée quant à son objet » : « Elle est l’amour même tendant vers
Dieu pour en jouir et tendant vers les biens crées uniquement pour en user en vue de Dieu lui-même ».44 Cette acception est néanmoins utile à rappeler dans la mesure où Saint Augustin est le
philosophe du libre arbitre et que la volonté dans son sens moderne n’est pas sans rapport avec la notion de liberté. C’est chez Jean Démascène dans De fideorthodoxa que l’on peut trouver une
conceptualisation aboutie du désir « rationnel » et « vital » « tendant vers les seuls biens qui appartiennent à la nature »45 qui sera traduite du grec par voluntas
par Burgundio de Pise. La pensée médiévale possède à la fois l’idée et le vocable. Cette définition sera reprise et s’imposera définitivement dans la scolastique. Jean de la Rochelle, Saint
Bonaventure, Thomas d’Aquin définiront la voluntas « comme un appétit rationnel par essence et tendant naturellement au bien. » Cette faculté qui faisait défaut aux grec tant au
niveau philosophique que politique, relève d’une aspiration active du sujet vers l’objet. Elle est rationnelle par essence et non pas par accident. C’est de là qu’elle tire son importance
capitale. Cet appétit naturel, rationnel dont on a « en soi-même le pouvoir » entremêle aspiration, rationalité et liberté dans une faculté spécifiquement humaine : la volonté. Peu
à peu laïcisée, le concept deviendra après Bacon et Descartes « cette faculté infinie en l’homme (si elle est considérée « formellement en elle-même ») qui parce qu’elle ne tend à
aucun objet déterminé, peut viser tout objet en général. Entièrement abstraite, indéterminée quant à son objet, la volonté peut tendre vers tout objet possible, et ainsi devenir l’instrument
idéal au service de la science et des techniques en vue d’un projet de domination de la terre où l’homme se rend comme maître et possesseur de la nature. Cette idée sera importée en
politique lorsque les théoriciens chercheront, comme Bodin et Hobbes, un argument en faveur d’une instance centrale et unique, siège exclusif de la décision politique et de la formulation des
lois. Au chapitre consacré à la Souveraineté des Six livres de la République, Bodin l’explique on ne peut plus clairement marquant le moment où la volonté du roi est source de la loi :
« voyons-nous à la fin des édits et ordonnances ces mots : car tel est notre plaisir, pour faire entendre que les lois du prince souverain, [bien] qu’elles fussent fondées en bonnes et
vives raisons, néanmoins qu’elles ne dépendent que de sa pure et franche volonté. »46
Le désordre civil auquel la souveraineté doit apporter des réponses suppose de s’incarner dans un seul corps (qu’il soit, comme chez Bodin qui exprime une nette préférence pour la monarchie, le
fait d’un seul (le roi), du petit nombre (l’aristocratie) ou de l’assemblée du plus grand nombre (le peuple). Au moins au départ, les théories de la souveraineté penchent pour la monarchie
absolue qu’elles légitiment. La souveraineté est ce par quoi s’institut l’autorité et le contrôle suprême d’une instance politique source de la loi. Définie comme absolue, indivisible, compétente
dans tous les domaines, elle participe certes d’une augmentation du pouvoir du prince, mais surtout d’une nouvelle façon de le penser dès lors que le peuple y ait directement soumis :
« La souveraineté intérieure en vint à signifier une autorité unifiée, complète, suprême, exclusive et directe dans les limites d’un territoire sur tous ses habitants qui devenaient
ainsi membres d’une entité politique, c’est-à-dire, sujets. »47 Cette manière d’organiser le pouvoir politique doit être distinguée de la suzeraineté qui, pour sa part, désigne
« l’autorité et le contrôle qu’exerce un seigneur, féodal, un roi, ou un empereur au sommet de la hiérarchie féodale, et qui en fait l’autorité suprême sur certains pouvoirs particuliers, le
suzerain des suzerains. »48 La souveraineté suppose ainsi de détruire les pouvoirs autonomes et tout particulièrement ceux des seigneurs féodaux qui gouvernaient dans une relative
indépendance et surtout pouvaient édicter leurs propres lois.
A la découverte de la souveraineté une et indivisible, correspond la découverte d’un nouveau sujet politique. Déjà introduit par Machiavel, le peuple est au cœur du problème à partir du moment où
la volonté du prince dont la loi est l’expression, s’adresse directement à la « multitude ». En effet, la question centrale n’est plus le rapport entre suzerains au sein d’une
hiérarchie féodale, mais la relation entre les gouvernés et le souverain dont la volonté, rationnelle, infinie et indéterminée quant à son objet, s’impose désormais uniformément à tous. Le
pouvoir s’exerce ainsi sur tous les hommes quels que soient leurs rangs ou leurs conditions. Nul ne peut s’y soustraire. Chez Hobbes, « la multitude (…) unie en une seule personne est
appelée une République, en latin civitas.»49 De là, une forme d’égalisation due au fait que les monarques exercent une même puissance sur tous leurs sujets, qu’ils soient seigneurs ou
esclaves.
Bodin traite la question de l’esclavage dans un long développement au tout début des Six livres de la république. En le considérant comme un sujet à part entière, il récuse les théories
aristotéliciennes qui établissaient une distinction ontologique entre les hommes libres et non libres. Egalisés en tant que sujet, ils n’en sont pas moins inégaux en droit : « Voila
l'origine des Républiques, qui peut éclaircir la définition de Citoyen, qui n'est autre chose que le franc sujet, tenant de la souveraineté d'autrui. Je dis franc sujet car : combien que
l'esclave soit autant, ou plus sujet de la République, que son seigneur, si tenté que tous les peuples ont toujours passé par commun accord, que l'esclave n'est point citoyen, et, en termes de
droit est compté pour rien : ce qui n'est pas aux femmes et enfants de famille, qui sont francs de toute servitude, encore que leurs droits et libertés, et la puissance de disposer de leurs
biens, leur soit aucunement retranchée par la puissance domestique : de sorte qu'on peut dire, que tout citoyen est sujet, étant quelque peu de sa liberté diminuée par la majesté de celui auquel
il doit obéissance : mais tout sujet n'est pas citoyen, comme nous avons dit de l'esclave et se peut dire aussi d'un étranger, lequel venant en la seigneurie d'autrui, n'est point reçu pour
citoyen, n'ayant part aux droits et privilèges de la cité… » 50
Hobbes dans le Léviathan insiste pour sa part sur l’égalité naturelle. Certes, il en a besoin pour construire sa théorie du contrat par laquelle les hommes voulant faire cesser la lutte de chacun
contre chacun acceptent d’abandonner leur liberté primitive pour se soumettre à l’autorité du monarque. Mais elle s’intègre aussi à une conceptualisation de la souveraineté qui ne peut
supporter d’exception. Le face à face entre le monarque et la communauté politique composée de sujets égaux en nature, mais éclectiques de fait, et inégaux en droit, soulève une série de
problèmes. La situation est relativement inédite puisque l’organisation du pouvoir féodal mettait en contact le suzerain avec des pairs, même s’ils étaient de rang inférieur. Elle est nouvelle
par rapport à l’antiquité qui, certes pensait l’existence de différentes classes au sein de la cité, mais au sein du même, c'est-à-dire de l’assemblée des citoyens, potentiellement
gouvernants et gouvernés dans la démocratie grecque. Ce qui apparaît dès lors, c’est l’impensé de la notion d’homme. Zone d’ombre masquée par une rhétorique universaliste qui pourtant,
lorsqu’elle parlait d’humanité, en excluait la plus grande partie en oubliant les esclaves et les femmes. L’homme dont parle la philosophie, a-t-il quelque ressemblance avec le sujet
politique moderne ? Les connaissances accumulées depuis l’antiquité permettent-elles de concevoir le biais par lequel il est un être gouvernable dans un système plus abstrait où les
relations personnelles sont quasi absentes ?
Le problème du gouvernement de la multitude qu’avait identifié Machiavel « à savoir si à régir et gouverner une multitude est plus nécessaire le doux que le rigoureux traitement. »51,
rencontre celui plus spécifique du rapport de l’un à la multitude. Appréhender « l’homme tel qu’il est » semble beaucoup moins simple lorsque l’on vise directement le « menu
peuple » qui, sujet du souverain devient objet de préoccupation. Il est inquiétant : « variable », « mobile », « soupçonneux », « difficile à
conduire », « toujours divisé », « schismatique », « forclu de tout bon jugement et civilité ».52 Pour l’esprit du temps, il n’a rien de commun avec la
noblesse « plus riche, de plus honnête mœurs et de plus grande civilité. »53
« Ce monstre à tant de têtes qu’on appelle la multitude est le maître absolu dans les Etats populaires : et dans l'Aristocratie même, que plusieurs ont tant estimée, la pluralité de ceux qui
la composent approche de la Démocratie, ou chaque membre est comme divisé de l'autre parce qu'à raisonner juste, il n'y a point de vrai lien unissant qui les assemble. Dans l’Etat
monarchique quoi qu’il y ait nécessairement plusieurs parties qui le composent, elle ne font néanmoins qu’un Tout, à cause qu’elles sont unies ensemble par l’esprit unique de la
royauté»54
Que « l’esprit unique » de la royauté puisse à lui seul faire du peuple un « Tout » constant et gouvernable, est sans doute théoriquement suffisant pour ceux qui entendent
établir les fondements de la monarchie absolue, mais sur le plan pratique, il est insatisfaisant. Le 16ème siècle ne s’en contentera pas. Comment obtenir le consentement du plus grand nombre? Sur
quelle faculté peut-il reposer dans le contexte de souveraineté ? Si la volonté droite en elle-même sur laquelle s’arrime le pouvoir ne supporte aucune concurrence, se pose la question de
l’usage de cette faculté chez les sujets. Comment penser les aspirations populaires sans qu’elles se traduisent en termes politiques puisque la souveraineté ne peut être bornée par aucune autre
volonté risquant d’en limiter la puissance absolue et perpétuelle ? Bodin amorce un début de réponse : « Et tout ainsi que les bêtes sauvages ne s'apprivoisent jamais à coups
de bâton » le peuple doit être « amadoué », « tantôt par les yeux, tantôt par les oreilles, tantôt par la panse ».55
L’idée qu’il ne s’agit pas de « rogner les ongles » au peuple et que les coups de bâtons n’ont d’autre effet qu’ils couvent « plus longtemps le germe de la division et par leur
silence concréent le salpêtre de la rébellion qui éclate puis après avec bien plus de violence car du désespoir il n’y a rien qui fasse espérer »56 sera largement reprise. Mais ce que suggère
Bodin va au-delà : le consentement populaire peut être obtenu sans qu’il soit nécessaire de recourir à la dangereuse notion de volonté. L’assimilation du peuple à une bête sauvage ou à
monstre à têtes multiples à une fonction idéologique qui consiste à l’assimiler au règne animal et, dans cette mesure à le confiner dans l’ordre naturel. La notion d’intérêt plus tardive dans le
langage savant est un concept dont on pressent l’utilité sur ce plan. Cette pulsion pourra tendre rationnellement vers quelques choses, sans venir troubler l’ordre politique dans lequel, la
volonté droite en elle-même des sujets, n’a pas encore sa place.
Conclusion
En perdant la place que Dieu lui avait attribuée au centre du cosmos clos, l’homme se conçoit comme le milieu de l’univers sans limite. Point d’ancrage d’une destinée glorieuse, il est
« le centre d'où partent deux infinis opposés » disait Young. Deux ordres, celui de la mécanique lorsqu’il s’agit du gouvernement de la nature et celui de la volonté lorsqu’il s’agit du
gouvernement des hommes, sont comme ces deux infinis. L’homme se rattache au premier ordre par son corps-machine entité strictement matérielle, au second par son âme une et indivisible, entité
strictement idéelle : il est le seul être de la chaine des êtres à appartenir pleinement à ces ordres dont il est la jonction. Il forme « la nuance délicate qui unit les deux
extrêmes » et devient comme l’affirmait Pluche « le centre de les services, de tous les avis et de tous les rapports ». En ce sens, il est effectivement l’être étonnant dont parle
Young. Mais ce qui l’est encore plus, c’est cette sorte de mystique de la puissance qui transparaît dans les promesses de la science physique et de la science politique : à partir de cette
nouvelle place, on peut espérer maîtriser toute chose.
Tout particulièrement si, comme le suggérait Descartes dans son traité sur les passions, des points de jonctions plus nets peuvent s’établir entre les sciences de la nature et les sciences
morales.
Notes
1 A. Smith, De l’origine de la philosophie, dans Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Edité et préfacé par G. Mairet, Gallimard, Paris, 1976. p.440.
2 Hésiode, Théogonie, texte établi et traduit par P. Mazon, introduction et notes par G. Pironti, Les belles lettres, Paris, 2012.
3 Idem, p.15.
4 J-P. Vernant (dir), L’homme grec, Seuil, Paris, 1993, p.21.
5 Hésiode, Les travaux et les jours, texte établi et traduit par P. Mazon, Les belles lettres, Guillaume Budé, Paris, 1964.
6 Pic de la Mirandole, De la dignité de l’homme / De hominis dignitate, traduit du latin et présenté par Y. Hersant, éditions de l’Eclat. Paris, 1993, p. 7.
7 N. de Cues, La docte ignorance, traduction et présentation par Pierre Caye, David Larre, P. Magnard, F. Vengeon, Flammarion, Paris, 2013.
8 P. Duhem, Le système du monde : histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic,... tome 10, Hermann, Paris, 1913-1959, p.279.
9 R. Descartes, Le monde et le traité de l’homme, Oeuvres philosophiques (1618-1637), tome 1, textes établis, présentés et annotés par F. Alquié, Garnier Frères, 1963, p.344.
10 B. Pascal, Pensées, dans, Oeuvres complètes de Blaise Pascal. Vie de Pascal, par Gilberte Perier. Les Provinciales. Les Pensées, éditeur L. Hachette, Paris, 1869-1872, p.246.
11 R. Mousnier, Les XVIe et XVIIe siècles – La grande mutation intellectuelle de l’humanité – L’avènement de la science moderne et l’expansion de l’Europe, Presses Universitaires de France,
Paris, 1993, p.33.
12 J.-R. Charbonnel, La pensée italienne au XVIe siècle et le courant libertin, éditeur Champion, Paris, 1919, Il y consacre de longs développements au Chapitre II «Le milieu, l’atmosphère, le
résidu des grands systèmes ». Pages 212 et suivantes sur lesquelles nous nous appuyons largement ici.
13J. Bodin, De la démonomanie des sorciers, éditeur Arnould Coninx, Anvers, 1593.
14J.-R. Charbonnel, La pensée italienne au XVIe siècle et le courant libertin, éditeur Champion, Paris, 1919, p.217.
15 B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes, Essai d’anthropologie symétrique, La Découverte § Syros, Paris, 1997, p.155.
16 B. Pascal, Pensées, dans, Oeuvres complètes de Blaise Pascal. Vie de Pascal, par Gilberte Perier. Les Provinciales. Les Pensées, éditeur L. Hachette, Paris, 1869-1872, p.384.
17 P. Kyloušek Renaissance et baroque – Textes choisis, Masarykova univerzita, Brno 2013, pp.117-118.
18 R. Mousnier, Les XVIe et XVIIe siècles – La grande mutation intellectuelle de l’humanité – L’avènement de la science moderne et l’expansion de l’Europe, Presses Universitaires de France,
Paris, 1993, p.220.
19 Mousnier, Idem, p.220.
20 A compléter avec les libertins p. 220 et suivantes Mousnier
21 A. Koyré, Du monde clos à l’univers infini, traduit de l’anglais par R. Tarr, Gallimard, Paris, 1973, p.65.
22 T. More, La description de l'isle d'Utopie, oú est comprins le miroer des républicques du monde... rédigé... par Thomas Morus avec l'épistre liminaire composée par M. Budé, éditeur C.
L'Angelier, Paris, 1550, p.68.
23 A. Paré, Les oeuvres de M. Ambroise Paré : avec les figures &portraicts tant de l'anatomie que des instruments de chirurgie, & de plusieurs monstres, éditeur Gabriel Buon, Paris, 1575,
p.729.
24 P. Mexía, Les diverses leçons de Pierre Messie mises de castillan en françois par Claude Gruget, parisien, avec sept dialogues de l'autheur, dont les quatre derniers ont esté de nouveau
traduits en cette quatriesme édition. Reveu de nouveau, éditeur C. Michel, Lyon, 1526, p.869.
A. Thevet, La cosmographie universelle d'André Thevet. Vol. 1 (Afrique, Asie) / illustrée de diverses figures des choses plus remarquables veuës par l'auteur, Tome 1er, éditeur G. Chaudière,
Paris, 1575, p.334.
C. Duret, Histoire admirable des plantes et herbes esmerveillables & miraculeuses en nature par M. Claude Duret, éditeur N. Buon, Paris, 1605, p. 25.
25 O. Finé, La théorique des cieux et sept planètes, avec leurs mouvemens, orbes & disposition par Oronce Finé, éditeur D. Cavellat, Paris, 1607.
26 J. P. Valerian, Les hiéroglyphiques de Jan Pierre Valerian, vulgairement nommé Pierius. . Autrement Commentaires des lettres et figures sacrées des Aegyptiens& autres nations,
oeuvreréduicte en cinquante huict livres ausquels sont adjoincts deux autres de CoeliusCurio, touchant ce qui est signifié par les diverses effigies et pourtraicts des dieux et des hommes,
nouvellement donnez aux François par J. de Montlyard, éditeur P. Frellon, Lyon, 1615.
27 R. Descartes, Les principes de la philosophie, dans Oeuvres de Descartes. Volume 3 / publ. par Victor Cousin; [et précédées de l'éloge de René Descartes par Thomas], éditeur F.-G.
Levrault, Paris, 1824-1826, pp. 519-520.
28 R. Descartes, Le monde et le traité de l’homme, Oeuvres philosophiques (1618-1637), tome 1, textes établis, présentés et annotés par F. Alquié, Garnier Frères, 1963, pp.90-91. Une note
indique que c’est ici la première apparition de la théorie de l’animal-machine, laquelle a régné à peu près sans partage tout le cours du XVIIe siècle.
29 Idem, pp. 100-101.
30 Idem, p.349-350.
31 F. Bacon, Nouvel Organum, Livre deuxième, in, Oeuvres de Bacon, traduction revue, corrigée et précédée d'une introduction par M. F. Riaux, éditeur Charpentier, Paris, 1843-1845, pp.
141-142.
32 F. Bacon, Oeuvres de Bacon, traduction revue, corrigée et précédée d'une introduction par M. F. Riaux, éditeur Charpentier, Paris, 1843-1845, p.405.
33 Young, E., Les Nuits, traduites de l'anglois par M. Le Tourneur, 2nde édition, corrigée et augmentée du Triomphe de la religion, tome 2, éditeur, Lejay, Paris, 1769, p.7.
34 A. Pluche, Histoire du ciel où l'on recherche l'origine de l'idolâtrie et les méprises de la philosophie, sur la formation des corps célestes, et de toute la nature, 3e édition, éditeur Vve
Estienne, Paris, 1743, p.351.
35 G. Lepointe, Histoire des institutions et des faits sociaux (987-1875), Editions Montchrestien, Paris, 1956, p.328.
36 Idem, p.334.
37 Idem, p. 358.
38 L. Gerbier, « Une méthode pour interpréter les histoires : Machiavel et Jean Bodin », Revue de métaphysique et de morale, 2009/2 (n° 62), pp. 151-166. URL :
http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2009-2-page-151.htm
39 Idem, p.157.
40 Idem, p.158.
41 Idem, p161.
42 Bodin, cité par L. Gerbier, idem, p.164.
43 G. Mairet, Présentation, dans J. Bodin, Les six livres de la République – un abrégé de l’édition de Paris de 1553, édition et présentation de G. Mairet, Librairie Générale Française, 1993,
p.18.
44 C. Romano, « Volonté », dans B. Cassin (dir.) Vocabulaire européen des philosophies, Seuil, Dictionnaire Le Robert, Paris, 2004, p.1377.
45 Idem, p.1375.
46 J. Bodin, Les six livres de la République – un abrégé de l’édition de Paris de 1553, édition et présentation de G. Mairet, Librairie Générale Française, 1993, p.121.
47 J L., Cohen, « Les transformations contemporaines de la souveraineté », Raison publique, n° 5, octobre 2006. http://www.raison-publique.fr/article135.html, sp.
48 De Jouvenel, De la Souveraineté, à la recherche du bien politique, 1955, cité par J L. Cohen, « Les transformations contemporaines de la souveraineté », Raison publique, n° 5,
octobre 2006. http://www.raison-publique.fr/article135.html, sp.
49 T., Hobbes, Léviathan - Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile, traduit de l’anglais, annoté et comparé avec le texte latin par F.
Tricaud, Sirey, 1971, p.177.
50 J. Bodin, La république de Jean Bodin ou L'art de gouverner un état. Avec l'apologie de René Herpin, sur cet ouvrage, et le traité des monnoyes, éditeur B. Vincent, Lyon, 1693, p.70.
51 N. Machiavel, Les discours de Nic. Macchiavel sur la première décade de Tite-Live dez l'édification de la ville. Traduitz d'italien en françois et de nouveau reveuz et augmentez, par Jacques
Gohory, éditeur R. Le Mangnier, Paris, 1571, p.231.
52 G., de la Perrière, Le miroir politique, contenant diverses manières de gouverner & policer les républiques qui sont & ont esté par cy devant, éditeur, V. Norment et J. Bruneau,
Paris, 1567, p.21.
53 Idem, p.21.
54 C. Cotin, Salomon ou La politique royale, éditeur s.n., s d, (17ème siècle) pp.1-2.
55 J. Bodin, La république de Jean Bodin ou L'art de gouverner un état. Avec l'apologie de René Herpin, sur cet ouvrage, et le traité des monnoyes, éditeur B. Vincent, Lyon, 1693, p.
649.
56 A. Theveneau, Les morales de Me Theveneau, avocat en parlement. Où est traité de l’institution du jeune prince des vertus qui lui sont requises quand il est prince et quand il est roi… Avec un
discours sur la vanité du siècle d’aujourd’hui, éditeur Du Bray, 1607, p. 444.
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